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La plus vivante des encyclopédies universelles


L'Automobile par Jacques Calvet


L'histoire est réduite par certains historiens à une succession d’évènements, de faits, de dates ; une autre école intègre ces éléments dans le contexte de l'époque, du milieu. Il n'est pas indifférent que, dès son origine, l'automobile ait été non seulement un fait de civilisation mais encore une composante de la culture du siècle. Ce recueil d'articles d'actualité, tirés de L'Illustration et consacrés à l'automobile, forme un ensemble de documents contribuant puissamment au rappel du passé et à l'annonce du futur.

L'Illustration feuilletée en famille était la télévision de l'époque. Moins bavarde que celle d'aujourd'hui ; loin d'être muette pour autant. Par-delà leur dimension esthétique, dessins et photographies constituent d'irremplaçables documents parlants et permettent de constater de manière saisissante qu'en trente ans l'automobile a conquis le monde. Il y a tout dans ces pages. Toute l'automobile et bien plus que l'automobile : une société qui vit, évolue, passe d'un siècle à l'autre.

En moins de cent ans, l'automobile est allée, à la fin du siècle dernier, de l'antiquité à l'époque moderne, à travers un moyen âge et, après la Première Guerre mondiale, une Renaissance. C'est avec une extraordinaire puissance d'accélération que l'automobile a parcouru ce trajet. Sans doute chacun a su percevoir, dès son origine, les répercussions de l'automobile sur la vie quotidienne. Ce que nous découvrons de plus intéressant, néanmoins, c'est l'étonnante modernité d'une époque qui mettait résolument son futur au présent.

Dès l'origine, la voiture apparaît comme le moyen « de mettre de moins en moins de temps pour aller d'un point à un autre ». Déjà en 1889, la Panhard-Levassor roule à 17 kilomètres à l'heure dans les pays plats et peu accidentés, et l'on avertit que ces grandes vitesses exigent de la part du conducteur une grande attention. En 1903, Serpollet atteint 125 kilomètres à l'heure avec son « Torpilleur » 40 chevaux. En 1938, les performances de George Eyston qui dépasse les 575 km/heure sur sa « Thunderbolt » conduisent certains à poser la question : « en 1978, la terre ne commencera-t-elle pas à devenir trop petite pour les êtres humains ?».

Dès 1895, les créateurs et les utilisateurs de la voiture se sont posé les problèmes qui sont toujours les nôtres. La sécurité, le carburant, la circulation, les pannes ou encore l'éducation des conducteurs, le permis de conduire, l'aménagement et la signalisation de la route sont abordés. Dès 1927, sont réclamées les autoroutes qui « seules pourront nous donner à la fois sécurité et rendement ».

A peine l'auto roule-t-elle qu'elle fait déjà la course. Les Panhard-Levassor, les Peugeot, les de Dion Bouton s'élancent en 1895 vers Bordeaux pour ce qui allait être la première course automobile. On va de plus en plus vite et même jusqu'à l'accident. On s'en prend alors à la folie de la vitesse. Le gouvernement est interpellé à la Chambre et la course interrompue par arrêté du Ministère de l'Intérieur. Les amoureux du sport répondent que « c'est grâce à ces chauffeurs téméraires qui lancent leur machine à des allures de 140 km/heure que les constructeurs peuvent aller de perfectionnements en perfectionnements et fournir les bonnes voitures de tout repos qui vont partout ».

Les perfectionnements sont étudiés au fil des pages : traction avant, tenue de route et roues indépendantes, suspension, silence, généralisation de l'emploi des métaux légers, voiture électrique. Dans l'énumération de ces éléments qui touchent aux progrès techniques de l'automobile comme à ceux de son style, la France occupe une place d'honneur. Son palmarès est éloquent. « La France », est-il écrit tout uniment, « a le sens de l'auto ». La carrosserie des voitures françaises est « de loin la plus élégante, la plus chic de toutes ». Enfin dans cette France automobile Peugeot, Renault, Citroën apparaissent successivement comme les fleurons et les annonces publicitaires le rappellent.

Etudes techniques et cahier des charges toujours d'actualité, album souvenir, tableau d'honneur, documents historiques, on trouvera tout cela dans ces pages. Quant à moi, j'ai été passionné par l'étrange prescience des phénomènes économiques, des progrès technologiques et des pesanteurs sociales dont ont fait part les auteurs de certains articles. Dès le 31 octobre 1896, le journaliste Paul Meyan avait bien vu que l'automobile était un instrument pratique dont l'entrée dans nos mœurs et nos habitudes était un fait acquis. Il expose la nécessité d'investir dans les moyens de fabrication, d'ajuster la production industrielle à une demande croissante, déplore les délais de livraisons, signale les variations saisonnières du marché, annonce la construction en série...

Dès le cinquième Salon de l'Auto - le premier avait été organisé en 1899 dans les jardins des Tuileries - la nécessité de fabriquer des petites voitures légères, rapides, peu voraces en combustibles et peu bruyantes est ressentie. En 1923, on relate que « le temps approche où l'automobile sera pour chacun un objet de première nécessité ». On annonce les banlieues et les trajets quotidiens pour venir travailler au centre des villes. On parle de montage à la chaîne et de grande série. On évoque « la main lourde de l'Etat » - rien n'a changé au moins en France - dont les taxes excessives retardent l'expansion de l'industrie automobile, la crise sociale qui augmente le coût de la main-d'oeuvre, le coût des matières premières, ou la concurrence internationale.

En 1921, Charles Faroux voit dans le prix excessif du carburant la cause de la limitation des ventes de voitures. La généralisation des véhicules utilitaires est prévue. Le service est défini comme une assistance au client, « une des formes les plus aimables de la publicité ». Ce ne sont pas seulement des phénomènes d'actualité qui nous sont décrits au jour le jour, mais des principes durables qui sont énoncés. Les vérités sont pérennes.

Toute l'évolution de l'automobile, née de la conjonction de deux technologies, celle d'un produit et celle de son mode de production qui sont l'un et l'autre objets de constants ajustements à la demande, se trouve ainsi retracée. Grâce à ces observations, à ces réflexions, à ces efforts, l'automobile de mieux en mieux élaborée, de mieux en mieux construite a développé ses conquêtes. En 1930, 1 100 000 voitures circulaient en France. Cinquante ans plus tard, il y en a plus de 26 millions.

Ces chiffres illustrent l'ampleur de l'un des phénomènes les plus importants de l'histoire du XXe siècle. Le développement de l'information en est un autre.

Cet album, ce n'est pas son moindre intérêt, se situe donc à l'exacte intersection des deux faits de civilisation les plus marquants de l'époque moderne : l'essor de l'automobile et l'expansion de la communication qui bien conçus, peuvent être l'un et l'autre d'extraordinaires instruments de liberté, d'incomparables facteurs d'enrichissement et d'accomplissement pour tous.

Jacques CALVET
Président du Directoire de Peugeot SA