Les Cours d'Europe par Arnaud Chaffanjon
Jean Sébastien Baschet

Le premier cliché couleurs publié par la presse : Le roi Frédéric VIII et la reine Louise de Danemark, Paris, L'Illustration, 1907
A la fin du XIX e siècle, régnait à Londres une reine qui s'appelait Victoria. Elle eut neuf enfants, une quantité impressionnante de petits-enfants, on la surnomma "la grand-mère de l'Europe" : par le jeu des alliances, tout ce qui régna en Europe descendit bientôt d'elle.
A la même époque, régnait au Danemark un roi qui s'appelait Christian IX. Il n'eut que six enfants ; mais comme plusieurs d'entre eux eurent l'idée originale d'épouser des enfants ou des petits-enfants de la reine Victoria d'Angleterre, leur descendance se trouva confondue et on le surnomma "le grand-père de l'Europe".
Grand-père et grand-mère de l'Europe, ancêtres d'innombrables rois et reines sans avoir été mariés ensemble, voilà bien l'extravagant roman d'amour d'un couple idéal, qui aurait pu être mari et femme, mais dont le destin a été seulement, et exceptionnellement, celui d'être des géniteurs royaux... puisqu'ils ont en commun de nombreux descendants non moins royaux, régnants ou pas, de nos jours.

Couronnement d'Elisabeth II, le 2 juin 1953
Passionné par l'Histoire dont je vivais ainsi l'actualité, je dévorais tous les livres de la bibliothèque de mon grand-père. Parallèlement, je suivais à la radio les grands événements royaux qui réjouissaient ou affligeaient cette Europe couronnée dont la Grande-Bretagne restait le modèle du genre : la mort du roi George V, l'avènement d'Edouard VIII et les préparatifs de son couronnement, interrompus par son abdication et son amour pour la belle Wallis Simpson, enfin remplacés à la même date par celui de George VI. Je suivais la croissance et les évolutions de la princesse Elisabeth et de la petite Margaret-Rose dont on rapportait les bons mots d'enfant. Je m'attristais avec le peuple belge de la mort tragique du roi Albert, le Roi-Chevalier, qui, en 1914, avait rendu l'honneur à son pays ; je pleurais à l'annonce de l'affreux accident qui coûta la vie à la reine Astrid, laissant le roi Léopold III désemparé et trois orphelins figés dans la douleur. Un peu de fraîcheur nous venait du jeune royaume d'Albanie où le roi Zog I' épousait la plus ravissante des comtesses hongroises, tandis que rien encore ne laissait prévoir la tragique échéance qui pesait sur ce pays.

La princesse Elisabeth caressant un cheval, lors du Richmond Horse Show, en juin 1934
L'Europe attentive mais égoïste, suivait de loin les pérégrinations tragiques de l'impératrice Zita, qui veuve à trente ans de Charles Ter, promenait à travers l'Espagne, la France et la Belgique ses huit enfants, admirablement élevés au milieu des amertumes de l'exil, de la pauvreté et du malheur. Puis, quelques jours après que les ondes eussent apporté à ma solitude pyrénéenne les échos enfiévrés de ces cours, ballottées entre l'allégresse et le désespoir, m'arrivaient de la rue Saint-Georges les images retransmises par L'Illustration. Je pouvais enfin mettre des visages sur les noms cent fois entendus et me replonger avec délices dans ces généalogies si solidement imbriquées les unes aux autres et qui avaient enfin un visage humain.

Le sultan du Maroc Sidi Mohammed et ses deux fils, 1937
Trois années plus tard, la soeur de la princesse Alexandra, Dagmar, après avoir embrassé la religion orthodoxe, devint la grande-duchesse Maria-Feodorovna de Russie en épousant le futur tsar Alexandre III. Leur fils fut le malheureux empereur Nicolas II, dernier tsar de Russie. En 1863, le second fils de Christian IX, le prince Guillaume, accepta le trône de Grèce et devint Georges I er, roi des Hellènes. Son fils aîné et héritier, Frédéric, lui succéda en 1906 sur le trône de Danemark, sous le nom de Frédéric VIII. A cette époque, par une série de brillants mariages dynastiques, la couronne de Danemark s'apparenta aux maisons régnantes d'Europe les plus importantes. Le roi Frédéric VIII avait épousé la princesse Louise de Suède, surnommée dans le cercle familial "le Cygne". C'était une femme d'une grande piété, d'une grande austérité que la société danoise, pourtant peu émancipée, choquait. C'est sous le règne de Frédéric VIII que la Norvège, ayant réussi à s'émanciper du joug de la Suède, devint un royaume indépendant et choisit comme souverain le fils cadet de Frédéric VIII, le prince Charles de Danemark, qui prit le nom de Haakon VII.
Le cinquième enfant de Christian IX, la princesse Thyra, épousa le duc de Cumberland, Ernest-Auguste, et son sixième, le prince Valdemar, épousa en 1889 la princesse Marie d'Orléans, arrière-petite-fille de Louis-Philippe, roi des Français. Ces liens matrimoniaux conférèrent à la monarchie danoise une position de privilège dynastique absolu et la résidence d'été du roi de Danemark à Fredensborg "devint le centre de la vie de cour en Europe" pendant plusieurs années. L'on peut dire aussi que les réunions familiales estivales qui se déroulaient à Fredensborg ou à Bernsdorf offraient à leurs illustres participants d'indispensables vacances de protocole.

La Reine Wilhelmine de Hollande, 1898
Arnaud CHAFFANJON
Grand Reporter à "Point de Vue - Images du Monde"

Le Tsar Nicolas II et la Tsarine à la chasse à Skiernieirsts, 1900