Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger
Pierre Salinger

Entrée en guerre des Etats-Unis en 1917. Juin 1917, discours du colonel Roosevelt à Mineola (Long Island).

Mais une certaine tristesse transparaît à travers les faits historiques. Car les Français furent les vrais pionniers du continent nord-américain. Ils pénétrèrent à l'intérieur du pays bien plus loin qu'aucun autre peuple. Le souvenir de leur présence se retrouve partout, notamment dans des noms de villes du Midwest tels que « Eau Claire », « Prairie du Chien », « Joliet », Marquette », ou « La Salle ». Il y a un « Paris » dans le Kentucky, et un « Lafayette », un « Terre Haute », et un « Vincennes » en Indiana. Mais la majorité des Français ne s'intéressèrent pas à cette vague de colonisation. Et la défaite de la France à Plaines d'Abraham près de Québec marqua la fin des espoirs français pour la conquête du continent américain. Tout ce que les Français conservèrent furent les îles de St-Pierre-et-Miquelon et le droit de pêche dans les eaux situées au nord du continent.

Avec une telle toile de fond, ce livre constitue une aide précieuse à une meilleure compréhension de l'évolution de l'histoire, de la culture et de la société américaines depuis la révolution. Un des chapitres les plus intéressants est celui qui traite de la Guerre de Sécession, probablement l'épisode le plus dramatique de l'histoire des Etats-Unis, durant lequel le pays se trouva brutalement coupé en deux entre le Nord et le Sud, et où une guerre sanglante se déclara, déclenchée par la décision d'Abraham Lincoln d'abolir l'esclavage. Les Français étaient depuis longtemps conscients des problèmes qui amenèrent la Guerre de Sécession. En 1788, un an avant l'adoption de la constitution américaine, Jacques-Pierre Brissot, à la suite de son séjour en Amérique, avait créé la « Société des Amis des Noirs » à laquelle il avait associé Mirabeau, Condorcet et La Fayette. La France avait aboli l'esclavage dans toutes ses possessions le 27 avril 1848, et les convictions anti-esclavagistes étaient très fortes dans le pays. La publication aux Etats-Unis de « La Case de l'Oncle Tom » de Harriet Beecher Stowe, roman racontant les épreuves d'une famille d'esclaves, eut un succès immédiat en France et dix éditions en furent épuisées en l'espace de deux ans. Mais en dépit de ce mouvement, l'opinion en France était divisée à propos de la guerre. Napoléon III aurait préféré voir le Sud victorieux. Son cousin, le prince Napoléon, attribuait ces propos à l'empereur : « Si le Nord est victorieux, j'en serai heureux. Si le Sud l'emporte, j'en serai enchanté ». L'attitude de Napoléon III irrita de nombreux Américains qui soutinrent la Prusse lorsqu'elle envahit la France en 1870. Beaucoup de Français prirent part à la Guerre de Sécession, y compris des membres de la haute aristocratie. Mais la majorité d'entre eux se rallièrent au Nord, le plus connu d'entre eux étant le général comte Régis de Trobriand.

Mais ce livre ne montre pas uniquement les côtés tragiques de l'histoire américaine. Il nous emmène aussi à la Nouvelle-Orléans en 1847 et nous fait découvrir l'évolution de ce territoire que tant de liens rattachent à la France. Nous vivons la merveilleuse épopée de la découverte de l'or en Californie en 1849, qui attira des centaines de milliers d'Américains vers la Côte Ouest, jusqu'alors pratiquement inhabitée. Nous découvrons l'émergence de nouvelles religions aux États-Unis, notamment les Quakers et les Mormons au milieu du 19e siècle. Et nous vivons un des phénomènes américains majeurs, l'immigration massive des Européens vers les États-Unis. L'arrivée des Italiens, des Allemands, des Irlandais, et autres Européens aux Etats-Unis, et leur intégration dans la société américaine est probablement l'un des faits majeurs d'un peu plus de deux siècles d'histoire de ce pays.
Bien sûr, nous revivons le récit de la construction de la Statue de la Liberté. Le premier reportage de L'Illustration fut publié en 1875, année où un comité appelé « Union Franco-Américaine » fut fondé par Edouard de Laboulaye, l'homme qui avait poussé Frédéric-Auguste Bartholdi, le fameux sculpteur français, à mettre en œuvre son incroyable projet. Ils avaient dîné ensemble à Versailles en 1865. « J'ai dîné chez mon illustre ami, M. de Laboulaye », avait noté le sculpteur Bartholdi, alors âgé d'un peu plus de 30 ans. La conversation était tombée sur les relations internationales. On était alors à quelques années du centième anniversaire de l'indépendance américaine. Laboulaye, professeur et historien éminent, libéral et américanophile convaincu, lança alors l'idée d'un monument qui serait édifié en Amérique, fruit d'un effort commun des deux nations. L'article de L'Illustration montre une gravure de Bartholdi représentant son projet à l'entrée du port de New York. La statue ne fut finalement édifiée et inaugurée que le 28 octobre 1886, plus de 10 ans après le centenaire de la Déclaration d'Indépendance. Mais 100 ans plus tard, le 4 juillet 1986, le Président américain Ronald Reagan et le Président français François Mitterrand célébrèrent le centenaire de la Statue de la Liberté, montrant par là le rôle majeur qu'elle continue de jouer dans les relations entre nos deux pays.
Et cette gravure de Bartholdi m'amène à un autre commentaire sur notre ouvrage. Ce sont en effet non seulement les textes, mais aussi les illustrations et les photographies de cette importante période qui rendent ce livre si attirant. Nous n'y lisons pas seulement l'histoire, nous la voyons revivre sous nos yeux. C'est là le point primordial qui fit de L'Illustration l'un des plus grands hebdomadaires de son temps.

Mais l'histoire nous apprend que les États-Unis renouèrent cette alliance. Une fois de plus les Américains traversèrent l'Atlantique pour libérer l'Europe et la France. Non seulement ils sortirent les pays européens de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, mais ils jouèrent un rôle majeur dans leur reconstruction. Quand les troupes américaines entrèrent dans Paris en 1944, la réception fut délirante. Les événements confirmaient une fois de plus l'amitié qui existe entre nos deux pays.
Pour ceux qui veulent comprendre leurs amis de toujours, ce livre est une merveilleuse leçon d'histoire."
Pierre Salinger