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De Ludovic Baschet à Louis Baschet : une famille au service de la presse et de l'édition d'art

Editeur d'art, pionnier de la presse illustrée de qualité, Ludovic Baschet est le premier maillon de six générations qui se sont vouées à L'Illustration et à l'édition de livres qui font encore référence aujourd'hui. Retour sur cette saga familiale qui a écrit quelques-unes des plus belles pages de la presse illustrée.


Durant ses soixante premières années d’existence, entre 1843 et 1904, L’Illustration a vu se succéder 5 directeurs : Jean-Baptiste Alexandre Paulin (de 1843 à 1859), Victor Paulin (1860), Auguste Marc (de 1860 à 1886), Lucien Marc (de 1886 à 1903) et Victor Depaëpe (1903-1904). A compter de 1904 et jusqu’à sa disparition en 1944, l’hebdomadaire ne connaîtra plus qu’un seul directeur, René Baschet, assisté ensuite de son fils, Louis Baschet. C’est dans cette période que L’Illustration va atteindre son maximum de rayonnement, aussi bien pour sa diffusion que pour la perfection de ses impressions qu’attestent les numéros de Noël et les numéros spéciaux qui rythment l’année (salon de peinture, automobile et tourisme…). On peut y ajouter les différents livres que commencent à publier les Editions de L’Illustration. C’est la grande époque de la mise en service de l’imprimerie de Bobigny, en février 1933. A la fin des années 1930, plusieurs membres de la famille de René Baschet sont associés aux destinées de ce qu’on l’on a pu alors appeler "l'empire Baschet ". Un empire qui commence avec René Baschet en 1904.

RENE BASCHET (1860-1949) Directeur de L’Illustration de 1904 à 1944.

Né à Paris, le 6 mai 1860, il est le fils aîné de Ludovic Baschet (18 septembre 1834-13 juin 1909). Ce dernier, peintre décoratif de formation, a opté en 1876 pour l’édition d’art en publiant La galerie contemporaine des illustrations françaises. La revue contenait une suite de biographies de personnalités de l'époque avec leurs portraits contrecollés: "Un départ bien modeste (1) avec une petite imprimerie de fortune. Toute la famille collabora, grands parents, femme et enfants, en encartant dans les feuilles de textes, les reproductions en photoglyptie des gens célèbres. Le succès dépassa les espérances. Ainsi débutait une grande série d’éditions luxueuses". Ludovic Baschet avait fondé sa Librairie d’art avec pour devise "Bien faire" ... Tout un programme... Après René, Ludovic Baschet aura cinq autres enfants dont le peintre et portraitiste Marcel Baschet (1862-1941) et le critique d’art et futur responsable des services artistiques de L’Illustration, Jacques Baschet (1872-1952). Ses études secondaires (Lycées Condorcet et Rollin) et supérieures (faculté de Droit) achevées, René Baschet épaule son père dans la gestion de la Librairie d’art. Il participe à la publication d’albums artistiques sur les Salons de peinture et les musées. Dès 1883, il dirige Paris Illustré puis, en 1885 La Revue Illustrée. Celle-ci ouvre régulièrement ses pages à de grandes plumes telles que Guy de Maupassant, Emile Zola, Maurice Barrès, ou encore Francisque Sarcey et Anatole France. Cette revue, publiée jusqu'en 1912 est aujourd'hui très recherchée, à la fois pour sa rareté et pour la qualité de ses illustrations, dont certaines déjà en couleur, annoncent les perfectionnements techniques que René Baschet imposera à L’Illustration. Entre temps, René Baschet a épousé le 21 juin 1887 Marguerite Guillemeteau (1868-1948) (2). De cette union, naîtront trois fils : Louis Baschet (11 mars 1889- 25 juin 1972), Jean Baschet (12 novembre 1890 - 22 janvier 1963) et René-Pierre (17 avril 1896- 25 septembre 1917). A chaque fin de semaine, toute la famille se retrouve à Gagny où les Baschet ont aménagé plusieurs maisons dans un Parc (3). En 1895, René Baschet lance une nouvelle publication, Le Panorama, qui associe les faits d’actualité et l’image, à la différence de La Revue Illustrée qui se cantonnait davantage dans les comptes-rendus artistiques, expositions et salons. Il est aussi administrateur des Annales politiques et littéraires, en compagnie d'Adolphe Brisson. A l'aube du XXè siècle, René Baschet est donc déjà solidement implanté dans la presse illustrée de qualité.

En 1904, René Baschet se porte candidat à la direction de L’Illustration. En quelques mois, l’hebdomadaire, qui connaît quelques difficultés et dont la diffusion stagne, a vu disparaître deux directeurs : Lucien Marc et Victor-Alfred Depaëpe. Le premier, fils d’Auguste Marc, auquel il avait succédé en 1886, est décédé le 11 juin 1903. Officiellement, il a succombé à "une congestion cérébrale, déterminée par un excès de travail" . Dans la réalité, ainsi que l’a révélé Jean-Noël Marchandiau (4), qui a retrouvé le rapport officiel de police, il s’est suicidé. Son successeur, quant à lui, ne tiendra les rênes du journal que pendant huit mois, avant de succomber à une pneumonie, en février 1904. Le 4 mars 1904, les actionnaires de L’Illustration doivent donc à nouveau choisir leur directeur parmi 25 candidats venus d'horizon divers. Jules Clarétie est ainsi sur les rangs. C’est finalement René Baschet qui l’emporte. Il a alors 44 ans : "Quittant la Revue illustrée, il va se consacrer avec ardeur à sa nouvelle tâche et il trouvera dans cette grande maison qu’est déjà l’Illustration le terrain favorable où il se prodiguera sans compter et multipliera les initiatives les plus heureuses et les plus fécondes. Sous l’impulsion du nouveau directeur qui a le sens exact des besoins et des désirs du public, ainsi que le goût de la belle gravure, de l’impression et de la présentation impeccable, L’Illustration va en quelques années augmenter considérablement son tirage (qui) progressera régulièrement de 10.000 exemplaire par an, pour atteindre 140.000 exemplaires à la veille de la première guerre mondiale" (5).

En arrivant rue Saint-Georges, René Baschet trouve une équipe dont plusieurs membres vont accompagner pendant plusieurs décennies le développement de L’Illustration : Maurice Normand, entré au journal en 1894 et rédacteur en chef jusqu’en 1923. C'est lui qui introduira son gendre, Robert de Beauplan. Gaston Sorbets, rédacteur depuis 1902 puis rédacteur en chef de 1923 à 1944. Lui aussi fera entrer son fils, Jacques Sorbets à la rédaction. Tout comme Ernest Clair-Guyot, photographe à L'Illustration pendant un demi-siècle et qui passera le témoin à son fils Jean Clair-Guyot, reporter et photographe entre le début des années 1920 et 1944. Quant à André Chatenet, directeur de l’imprimerie, il aura à assumer jusqu'à sa mort en 1924, la responsabilité de la fabrication, entre une imprimerie de plus en plus saturée et un tirage qui s’envole. L'imprimerie de Saint-Mandé, ouverte en 1919 afin de soulager celle de la rue Saint-Georges, va très vite révéler ses limites de développement. En même temps, René Baschet s’adjoint les services de plusieurs membres de sa famille : Louis Baschet (1889-1972), son fils aîné, entre au journal dès 1908, en charge de l’organisation de la Caisse des retraites et du personnel. En 1922, il est nommé secrétaire général de L’Illustration avant d’en devenir le co-directeur. Un autre de ses fils, Jean Baschet (1890-1963), assumera dans les années 1920, l’administration de la caisse sociale de l’entreprise et occupera les fonctions d’administrateur général. Enfin, Pierre Baschet, le fils cadet, né en 1896, élève à l’Ecole nationale supérieure des beaux arts, aura à peine le temps de faire ses premières armes à L’Illustration, avant de disparaître au combat, le 25 septembre 1917, tué par un éclat d’obus (6) Quant à Jacques Baschet (1872-1952), frère de René Baschet, historien d’art et administrateur du Mobilier national, il s’installe lui aussi rue Saint-Georges et devient directeur des services artistiques de L’Illustration et critique d’art. C’est lui qui rédigera chaque année les comptes rendus des expositions et salons de peinture, pour le numéro de printemps. C’est également lui qui va superviser la réalisation des fameux numéros de Noël et, plus généralement des nombreux numéros spéciaux. Excellents vecteurs de publicité, ils vont se multiplier. Dans les années 1930, son propre fils, Roger Baschet, né en 1902, se fera peu à peu un nom dans les colonnes de l’hebdomadaire, entre critique artistique et articles de variété, tout en devenant adjoint aux services artistiques. Enfin, bien qu’il ne fasse pas partie du personnel de L’Illustration, on ne peut passer sous silence l’autre frère de René Baschet, le peintre Marcel Baschet. Grand prix de Rome, il est devenu l’un des grands portraitistes de la IIIè République et L’Illustration ne manquera pas de reproduire quelques-uns de ses portraits, que ce soit les gloires militaires de la Grande guerre ou les responsables politiques. Il n’est pas rare que le numéro du Salon de peinture fasse référence à ses œuvres, sous la plume de son frère, Jacques Baschet.

A la veille de la grande Guerre, René Baschet est donc parvenu à porter la diffusion de L’Illustration au delà des 100.000 exemplaires. Certains numéros connaîtront plusieurs tirages totalisant jusqu’à 600.000 exemplaires. Malgré un retour à des chiffres plus sages, le problème de la capacité de production de l’imprimerie se pose de plus en plus, ce qui le pousse à faire construire une imprimerie annexe à Saint-Mandé en 1919. Une solution provisoire et pas entièrement satisfaisante puisque la fabrication nécessite des va et vient entre la rue Saint-Georges et Saint-Mandé. C’est ce qui conduira à la fin des années 1920 à l’étude puis à la réalisation d’une nouvelle imprimerie, sur un site unique, en banlieue parisienne. Ce sera Bobigny dont le projet mis à l’étude dès 1928-1929 est confié à Louis Baschet. Inaugurée le 30 juin 1933, l’imprimerie était opérationnelle depuis le mois de février. Elle est l’œuvre maîtresse des Baschet, père et fils.

Dans cette période de l’entre deux guerres, l’empire Baschet s’est aussi étoffé : aux anciennes publications comme La Petite illustration, s’ajoutent de nouvelles comme L’Illustration économique et financière (1919-1930), L’Illustration des Modes qui n’aura qu’une existence éphémère entre octobre 1920 et juin 1922, et Plaisirs de France qui paraîtra entre 1934 et 1943, avant de renaître après guerre. C’est aussi le moment où les Baschet père et fils créent les éditions de L’Illustration, dans la lignée du succès de l’Album de guerre (7). L’entreprise développe enfin ses propres papeteries (Lux à Furès dans l’Isère et les papeteries de Savoie, à La Serraz). L’essentiel de leur production alimente les presses de Bobigny.

C’est alors pour René Baschet le temps des honneurs : commandeur de la Légion d’honneur en 1928, il accueillera à Bobigny des personnalités de tous ordres venus découvrir ce qui passe pour la plus moderne des imprimeries, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde. Ses pairs le portent à la présidence du Syndicat de la presse parisienne et la Fédération nationale des journaux français en fait son vice-président. L’Institut lui ouvre ses portes, dans la section des beaux arts en 1935, au fauteuil de Justin de Selves. Fait exceptionnel, il rejoint son frère, le peintre Marcel Baschet, qui y siège déjà depuis 1913. Au fait de sa gloire dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, René Baschet n’en reste pas moins conscient des difficultés économiques et financières qui mettent en danger l’entreprise, ainsi que Jean-Noël Marchandiau l’a démontré. La crise économique n’explique pas à elle seule la diffusion en baisse, les déficits successifs ou la publicité en perte de vitesse. La formule a vieilli, malgré les tentatives de rajeunissement de la mise en page qui se sont succédé à partir de 1930. Il aura ainsi fallu attendre la 87ème année de parution pour que la magazine troque son immuable livrée, avec les outils du graveurs au centre, pour ouvrir une fenêtre photographique. Dans la seule décennie 1930-1940, la couverture sera modifiée trois fois, ainsi que la mise en page.

Après l’exode et l’Armistice de juin 1940, René Baschet opte pour la reparution de L’Illustration à Paris, ce qui permettra de récupérer à la fois le siège du journal et l’imprimerie de Bobigny : "Fallait-il, écrira-t-il, laisser l’ennemi dans la place, lui offrant ainsi l’occasion de l’utiliser librement pour les fins de sa propagande ou, au contraire, venir la lui disputer, en tentant l’impossible pour minimiser son emprise ? C’est cette dernière voie qui fut choisie. Elle se révéla ingrate et douloureuse". Sans revenir sur les démêlés avec Jacques de Lesdain et l’équipe imposée par l’ambassade d’Allemagne (8), on peut rappeler les propos du Comte Doriat, dans l’hommage rendu par l’Institut à René Baschet en 1958 : « Pendant quatre longues années, soutenu par une équipe fidèle, René Baschet luttera avec opiniâtreté et courage contre les exigences et l’emprise des allemands et il pourra ainsi, à la libération, apporter la preuve que les services importants et multiples rendus par lui à son personnel, aux victimes de l’ennemi et aux organisations de résistance et de lutte contre l’Occupant, n’avaient été possibles que par le maintien de l’activité de l’entreprise, sous son couvert et avec ses ressources » (9). Une ligne de défense que partagera avec lui son fils, Louis Baschet, alors codirecteur. On ne manquera pas de reprocher à René Baschet d’avoir assumé la présidence d’honneur du Groupement corporatif de la Presse périodique générale dans la cadre de la Corporation nationale de la Presse présidée par l’encombrant directeur des Nouveaux temps, le "fonds - secrétier" Jean Luchaire, condamné à mort et fusillé le 22 février 1946. Tout comme on ressortira cette photo d’un banquet corporatif où l’on entrevoit René Baschet aux côtés de Jean Luchaire et de dignitaires allemands.

Paris libéré, les espoirs de poursuivre la publication de L’Illustration s’effondrent très vite. En septembre 1944, la société éditrice, Baschet et Cie est suspendue et tous ses biens mis sous séquestre des domaines. En décembre, une information est ouverte contre René et Louis Baschet pour "atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat". Il faudra trois ans de combats juridiques avant que la justice ne rende en 1948 un non lieu au profit des deux hommes, reconnaissant ainsi leur innocence : "Un an avant sa mort, René Baschet qui ne parvenait pas à comprendre l’injuste sort qui lui était fait, eut enfin la suprême satisfaction de voir reconnaître son innocence par la justice de son pays en des termes qui prouvaient qu’il n’avait, à aucun moment des heures dramatiques de l’Occupation failli à sa tâche" (10). La décision venait pourtant trop tard pour le vieil homme qui s’était muré dans le silence, après le décès de sa compagne, quelques mois plus tôt. René Baschet devait décéder le 7 août 1949. France Illustration, qui s’était installé dans les meubles de la défunte Illustration dès 1945, n’hésita pas à lui rendre hommage. Dans son numéro 201, daté du 20 août 1949, on pouvait lire : « C’est une grande figure de l’édition qui disparaît avec René Baschet (…). Sous son impulsion, la revue prit un nouvel essor. Les tirages hebdomadaires s’accrurent rapidement. Leurs chiffres montrent assez bien que la revue plaisait au public (…). Mais plus qu’aux articles publiés, c’est peut être à leur présentation, à la perfection technique de la reproduction des photographies que l’Illustration dut sa notoriété, et là encore le mérite en revint à René Baschet (…). La valeur artistique de L’Illustration, véritable œuvre d’art, était universellement reconnue ». Bel hommage, non signé, de la part d’un magazine contre lequel les Baschet bataillaient ferme depuis quatre ans pour tenter de récupérer leurs biens. Le même article évoque « sa grande bonté, jointe à une simplicité proverbiale » en ajoutant que « sa réputation de grand honnête homme, son affabilité, son désir aussi de rendre service à quiconque le sollicitait l’amenèrent à présider bon nombre d’associations syndicales professionnelles ». Sur le maintien de la publication pendant l’Occupation, France Illustration prend même, paradoxalement, des accents d’avocat de la défense : « Animateur d’un journal presque centenaire, qui à travers toutes les vicissitudes traversées par la France depuis 1843 n’avait jamais cessé de paraître, il crut de son devoir d’en poursuivre la publication en 1940 et il fut atteint, à la libération, par les mesures qui suspendirent tous les journaux parus sous l’Occupation ». Et l’auteur de l’article d’ajouter que « cruellement éprouvé par cette décision qui interrompait l’œuvre à laquelle il avait consacré sa vie, René Baschet, jusque là remarquable d’activité, déclina rapidement ». Quant à l’entreprise, malgré les réquisitions même du Ministère public qui avait demandé son acquittement ! , elle fut condamnée (dans des conditions rocambolesques) à la dissolution en décembre 1949. Ce n’est qu’en 1954 qu’elle fut relevée de toutes les peines prononcées à son encontre, prélude à la restitution progressive des biens à ses anciens propriétaires.

MARCEL BASCHET (1862-1941) Artiste peintre Membre de l’Institut.

Né à Gagny, le 5 août 1862, il est le 2ème fils de Ludovic Baschet. Bien qu’il n’ait pas travaillé directement à L’Illustration, l’hebdomadaire lui a largement ouvert ses colonnes, à l’occasion des Salons de peinture. Entre 1910 et 1943, on trouve de nombreuses reproductions de ses œuvres, souvent en hors texte : les maréchaux et généraux de la Grande guerre, les hommes politiques de la IIIe République, les académiciens, les personnalités de l’époque ou des membres de la famille Baschet. Sociétaire de l’Académie Julian dès 1879, il a rejoint l’Ecole nationale supérieure des Beaux Arts, avec pour maître Gustave Boulanger. En 1883, son tableau Œdipe maudit son fils Polynice lui vaut le Grand prix de Rome avec, à la clé, un séjour à la Villa Médicis. De retour en France, il se spécialise dans l’art du portrait. Claude Debussy, Henri Brisson, ou encore Alexandre Millerand, Gaston Doumergue, Raymond Poincaré ou le Maréchal Pétain constituent quelques-uns de ses modèles. Les maréchaux Foch, Lyautey, Fayolle et d’autres ont aussi posé pour lui. Commandeur de la Légion d’honneur, il avait fait son entrée à l’Académie des Beaux arts le 17 mai 1913, succédant au peintre Edouard Detaille. Dans son n° du 24 mai 1913, L’Illustration, par la plume de Gustave Babin, consacre un long article, sur 3 colonnes à cette réception, saluant « la juste consécration d’un effort loyal, énergique et persévérant entre tous ». En conclusion, il est qualifié de « grand portraitiste, l’un de ceux qui donneront de nous aux générations futures la meilleure idée que nous puissions souhaiter de leur laisser, car jamais son pinceau sincère n’a consenti à nous montrer aussi frivoles, évaporés et fous que voudraient bien le faire croire tant d’autres de nos contemporains, artistes ou écrivains. Soyons-lui en reconnaissant ».

De son mariage avec Jeanne Guillemeteau, le 3 janvier 1888, il avait eu deux enfants dont Paul Baschet (1888-1966) qui fit carrière dans l’industrie papetière, à la tête des papeteries Prioux-Glatron-Baschet et Cie et des Papeteries de Navarre. Marcel Baschet est décédé le 28 décembre 1941. L’Illustration (n° 5156 - 5157 du 3-10 janvier 1942) lui a rendu hommage, sous la plume de Louis Hourticq, dans un article illustré par un pastel, autoportrait de Marcel Baschet. Après avoir rappelé à grand trait son œuvre et salué « sa simplicité », « sa bienveillance naturelle », « son désintéressement et sa franchise », « ce naturel parfait qui faisait la distinction de ce peintre, homme du monde », il concluait ainsi : « Si l’on se rappelle le passé, il n’est pas difficile d’imaginer la place que l’avenir réserve à notre ami (…). La galerie de Marcel Baschet conserve à l’histoire une image sincère de la France de son temps, celle de l’intelligence et des affaires, la grande bourgeoisie, la haute politique et aussi les chefs qui lui ont donné l’orgueil de la victoire (…). Ceux qui ont aimé Marcel Baschet pour sa gentillesse et qui l’ont admiré pour son talent peuvent en toute sûreté chercher une consolation dans la certitude que son œuvre lui survivra ». Son frère, Jacques Baschet, directeur des services artistiques de L’Illustration et critique d’art, lui a consacré une biographie (Marcel Baschet, sa vie, son œuvre) publiée en 1942, dans une luxueuse édition, avec la liste complète de ses tableaux, dont beaucoup sont reproduits en hors-texte.

JACQUES BASCHET (1872-1952) Historien et critique d’art Directeur des services artistiques de L'Illustration

Né à Gagny, le 20 août 1872, fils de Ludovic Baschet, il a d’abord été administrateur du Mobilier national, après des études au lycée Louis-le-grand. C’est en 1923 qu’il a rejoint L’Illustration pour y diriger les services artistiques, en charge des numéros de Noël et des numéros spéciaux : « Sait-on ce qu’un numéro de Noël représente de science et de patience. Sa préparation s’échelonne sur une année entière, car il s’agit de grouper les écrivains, les artistes les plus en renom, de révéler des œuvres originales, de réaliser une suite de pages harmonieuses, variées, autant par les sujets que par la présentation, d’associer aux chefs d’œuvres du passé les créations de l’art moderne » (11). Entre 1923 et 1944, c’est lui qui signe les comptes-rendus d’expositions et plus particulièrement celui du Salon de peinture, publié au printemps. En tant qu’historien d’art, il a publié plusieurs ouvrages : La peinture française, du Moyen-Âge à nos jours, La peinture française des origines au XVIIIe siècle, Histoire de la peinture flamande,Pour une renaissance de la peinture française, Tapisseries de France. On lui doit aussi la première partie de la Chronique de la famille Baschet, 100 ans de souvenirs (1872-1972) (12) dans laquelle il évoque l’histoire de sa famille, jusqu’en 1944. Une véritable mine de renseignements sur les Baschet, mais qui n’a connu qu’un tirage très limité, ce qui en fait un document particulièrement difficile à trouver. Jacques Baschet est décédé le 10 janvier 1952.

Son fils, Roger Baschet (né 10 novembre 1902) avait rejoint L'Illustration au milieu des années 1920. Il était devenu adjoint aux services artistiques de la revue, en charge de la préparation des numéros spéciaux. Jusqu’en 1944, il a publié dans les colonnes de la revue de nombreux articles, qui ne se limitent pas aux seuls comptes-rendus artistiques. Il s’agit souvent d’articles de variété sur la vie et l’air du temps. Il a également été rédacteur en chef de la revue Plaisir de France, à partir de 1936. Après avoir été correspondant de guerre (1944-1945) puis journaliste à l’Aube et à l’Aurore, il a collaboré quelque temps à la revue Elites françaises (1949-1952). Il est redevenu ensuite rédacteur à Plaisir de France, relancé et dirigé par Olivier Quéant en août-septembre 1945. On y trouve sa signature jusqu’à la fin des années 1960. Roger Baschet a publié plusieurs ouvrages sur la peinture, l’histoire de l’art, la décoration (édités pour la plupart par les éditions SNEP - Illustration puis par Baschet et Cie -L’Illustration ou par les Nouvelles Editions françaises) : Sur l’évolution de la grande peinture étrangère, La peinture européenne, ses écoles complémentaires, La peinture asiatique, son histoire, ses merveilles, La peinture contemporaine de 1900 à 1960 (2 volumes). Il est aussi l'auteur d'un récit sur son expérience de correspondant de guerre en 1944-45 pour le journal l’Aube (Témoin d’une épopée). Son dernier livre était consacré au Monde fantastique du musée Grévin (éditions Tallandier, 1982), avec une préface d'Alain Decaux.

LOUIS BASCHET (1889-1972) Codirecteur de L'Illustration (1924-1944) Président de Baschet et Cie (1949-1972)

Après René Baschet et ses deux frères, Marcel et Jacques Baschet, la deuxième génération qui a suivi les traces de Ludovic Baschet, il est temps d'aborder la troisième génération principalement à travers la biographie de Louis Baschet, le dernier à avoir dirigé, ou plutôt codirigé L'Illustration. Mais sa carrière professionnelle ne s'étant pas arrêtée avec la disparition de L'Illustration en août 1944, on trouvera également des informations sur sa carrière d'éditeur de livres d'art, en même temps que sur les batailles juridiques qu'il a menées pour que Baschet et Cie puisse recouvrer ses biens. Enfin, il a semblé utile d'évoquer succinctement le devenir de ce que certains ont pu appeler dans les années 1930 "l'Empire Baschet". De quoi évoquer beaucoup plus brièvement quelques Baschet de la quatrième génération peut-être la dernière à avoir ou à avoir eu un lien direct avec le monde de l'édition.

Né le 11 mars 1889, Louis Baschet est le fils aîné de René Baschet. Après avoir été élève aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il séjourne pendant un an à Londres, au Daily Mirror, afin de s’initier aux techniques de l’édition illustrée. De retour en France, il entre à L’Illustration en 1908. René Baschet lui fait découvrir tous les services de l’hebdomadaire, tout en commençant à l’associer à la réalisation des numéros spéciaux. Il est aussi envoyé aux Etats-Unis pour une mission d’étude qui débouchera sur l’achat de matériels modernes d’impression, avant la Grande Guerre. En 1911, il devient secrétaire de la direction. Mobilisé en 1914, il est fait prisonnier tout comme son frère, Jean Baschet, au cours d’un engagement à Cutry, en Meurthe-et-Moselle, dès le 22 août. Au cours de ces années passées au camp de Ratisbonne, en Bavière, il aura pour compagnon de captivité René Lefébure (13), architecte et dessinateur, futur chef de l’atelier de dessin de L’Illustration et concepteur avec Louis Baschet de l’imprimerie de Bobigny. Quant à Jean Baschet, son frère, il sera libéré en 1917 en qualité d’infirmier. Après avoir pu regagner la France, en passant par la Suisse, il décidera de s’engager sur le front de Russie. Cette même année, leur frère cadet, René-Pierre, tout jeune artilleur, trouvera la mort, le 22 septembre, sur le front de Champagne, au Mont-Sans-Nom.

Nommé secrétaire général de L’Illustration au retour de la paix, Louis Baschet s’occupe en priorité des services intérieurs, de la vente et de la publicité. Le 21 juin 1919, à Gagny, il épouse Marguerite Warrain. De cette union naîtront quatre enfants : Denis Baschet (1920), Christiane Baschet (1921), Francine Baschet (1922) et, enfin, Eliane Baschet (1928). Cette dernière épousera Roger Allégret avec lequel elle continuera dans la voie de l’édition, jusqu’au début des années 1990. En 1924, René Baschet ayant eu de graves problèmes de santé, il est associé officiellement à la direction et fait désormais figure de successeur désigné. L’Album de la guerre, la naissance des éditions de L’Illustration, l’essor des papeteries qui alimentent le magazine sont à mettre à son actif. Avec celui de René Baschet, son nom est éminemment associé à la formidable croissance de la diffusion, de la publicité et du chiffre d’affaires de L’Illustration jusqu’au début des années 1930. L’hebdomadaire peut alors se glorifier d’une diffusion quasiment planétaire, avec des numéros « lus, conservés et collectionnés dans le monde entier ». Dans une plaquette de promotion publiée en 1925, on évoque le nombre de 112 pays : « La publicité confiée à L’Illustration touche un public innombrable dans les cinq parties du monde ».

Louis Baschet est évidemment lié à la conception et à la réalisation de l’imprimerie de Bobigny, aux côtés de René Lefébure, architecte et chef des services de dessin, de l’ingénieur Henry Hischmann, auquel il est apparenté et de son adjoint, Henri Tannière : « Ils ont été véritablement le cerveau d’où est sortie dans son armature d’acier et de béton, son ordonnance rationnelle et harmonieuse, son équipement et son outillage perfectionnés, l’usine de Bobigny », écrira Robert de Beauplan, dans le numéro spécial publié lors de l’inauguration du site. Outre l’imprimerie initiale qui avait connu plusieurs extensions entre les rues Saint-Georges, de Provence et de la Victoire, une vingtaine de presses avaient été installées en 1919 à Saint-Mandé sur un site de 7.500 m2. Avec les agrandissements successifs, pour faire face à la croissance des tirages, Saint-Mandé était arrivé à saturation. Louis Baschet défendit l’idée d’une nouvelle imprimerie, avec suffisamment d’espace pour faire face aux extensions à venir, le tout permettant de réunir en un lieu unique les différentes phases de la fabrication, sans être trop éloigné du siège. Auparavant, il aura fallu plusieurs voyages d’études à l’étranger (Aux Etats-Unis, au Royaume uni ou en Allemagne) pour débusquer les nouvelles machines et apporter davantage de rationalisation dans la fabrication. Le résultat, ce sera Bobigny dont l’histoire a été contée en détail dans le numéro spécial du 1er juillet 1933. Pour construire les 14.500 m2 de bâtiments et la tour de 64 m, il aura fallu moins de deux ans. Un exploit pour l’époque, si on y ajoute les nombreuses difficultés créées par un terrain glaiseux, gorgé d’eau. A cet exploit s’en ajoute un autre : celui du démontage et du transfert des machines de Saint-Mandé et de la rue Saint-Georges vers Bobigny, en même temps que l’on y assemblait de toutes nouvelles machines. Le tout sans interrompre la parution. En 1933, année de l’inauguration, Louis Baschet, secrétaire général de L'IIlustration, devient officiellement co-directeur, un poste qu’il occupera jusqu’en août 1944.

Sur les conditions de parution de L’Illustration pendant l’Occupation et sur les tensions, voire les affrontements entre les Baschet et le rédacteur politique, Jacques de Lesdain, imposé par l’ambassade d’Allemagne, on pourra se reporter aux autres articles des recherches effectuées. (14). Pendant quelques temps, à la Libération, les Baschet veulent encore croire que L’Illustration pourra reparaître. Les services d’abonnement, interrogés par les lecteurs désorientés, cherchent à temporiser : « La reprise de notre publication demandera encore un certain temps » écrit dans une lettre circulaire le chef du service des abonnements, en date du 29 septembre 1944, en précisant : «Vous n’ignorez pas les mesures qui concernent les journaux publiés sous l’Occupation allemande. Aucun de ceux-ci ne peut reparaître avant qu’une enquête n’ait statué sur son rôle pendant cette période. L’Illustration (…) a toujours observé la ligne de conduite que lui inspiraient son intégrité et son patriotisme. Son attitude ne peut être confondue avec celle de nombreux journaux qui se sont prêtés avec complaisance aux suggestions des services allemands de propagande ». Il n’empêche que, dès la libération, la société éditrice de L’Illustration a été pourvue d’office d’un administrateur provisoire.

Poursuivi, le 1er décembre 1944, en même temps que son père pour « atteinte à la sûreté de l’Etat», au motif d’avoir maintenu la publication de L’Illustration sous l’Occupation, Louis Baschet bénéficiera avec ce dernier d’un non lieu rendu le 22 juillet 1948. Quant à la société éditrice une information judiciaire est ouverte contre elle, le 22 octobre 1945. Le 18 juillet 1949, trois semaines avant la disparition de René Baschet et au terme de près de quatre ans d’instruction, elle fait l’objet d’une ordonnance de renvoi devant la cour de justice de la Seine. Le 6 décembre 1949, à la différence de ses dirigeants, l’entreprise avec tous les biens qui lui appartiennent (immeubles, imprimerie…) et qui avaient été mis sous séquestre des domaines (15), se retrouve condamnée par la cour de justice de la Seine à la dissolution et à la confiscation du dixième de son patrimoine. Pendant plusieurs années, Louis Baschet va batailler ferme sur le terrain juridique pour faire reconnaître ses droits, ceux de l’entreprise, et de ses actionnaires. Les conditions mêmes dans lesquelles le jugement a été prononcé peuvent surprendre : « Comment peut-on juger qu’une société dont les représentants légaux ont été mis hors de cause et dont par ailleurs aucun des membres n’a même été poursuivi, puisse encourir une responsabilité quelconque ? A moins que l’on admette que ces biens eux-mêmes, c’est à dire des objets inanimés, bâtiments ou machines, puissent avoir une intention coupable et encourir une responsabilité pénale, il est clair que la confiscation des biens ne peut intervenir qu’en conséquence de la responsabilité personnelle encourue par l’une ou l’autre des personnes composant la société » (16). La thèse soutenue par le juriste Henri Donnedieu de Vabre et reprise par le commissaire du gouvernement, déclarant les poursuites irrecevables, ne fut cependant pas suivie par le tribunal. Les termes du réquisitoire étaient pourtant sans équivoque : Les Baschet « pouvaient penser, d’une part éviter par leur présence une complète mainmise allemande que leur départ aurait rendu inévitable et, d’autre part, bénéficier d’une autorité suffisante pour diminuer dans une mesure appréciable l’action antinationale que l’on voulait imposer à leur publication ». Plus loin, le ministère public ajoute que « l’on ne saurait omettre la constante opposition faite par Louis Baschet à De Lesdain pendant les quatre années d’occupation, la lutte de tous les instants (…) avec le souci réel de contrecarrer les desseins de l’ennemi. On ne saurait enfin passer sous silence que (…) les ouvriers et employés de la maison sont venus, dans leur quasi totalité, attester de l’excellence de ses sentiments français ». Enfin, à propos des mises en garde publiée par l’hebdomadaire pour rappeler que « M. J. de Lesdain exprime, comme chaque semaine, dans cette page des idées personnelles dont il endosse la responsabilité entière » (17), le commissaire du gouvernement notait que « c’est un acte qui présentait non pas un certain courage mais un courage certain. M. Baschet acceptaient un gros risque. Ils auraient pu être déportés. C’était un acte d’hostilité aux yeux des Allemands ». Et de réclamer, au nom de « l’identité absolue entre la société et ceux qui la dirigent », un acquittement pur et simple.

Le jugement aurait dû être rendu le 5 décembre 1949, mais « en raison de l’heure tardive et de la nécessité de procéder à des recherches plus approfondies, l’arrêt était renvoyé, ainsi que la suite des débats au 6 décembre à 13h15 » (18). Un délai mis à profit par Albert Bayet, président de la fédération nationale de la presse française, pour faire distribuer aux jurés une brochure intitulée L’Illustration sous l’Occupation allemande. Il s’agissait d’un montage de différents documents qui se voulaient accablants pour l’hebdomadaire. En même temps, elle sera reprise dans nombre de journaux. Conséquence immédiate : au lieu de l’acquittement attendu et réclamé, on passe à un verdict de culpabilité, mais accompagné de circonstances atténuantes. C’est assez pour que la dissolution soit prononcée.

Pour assurer la survie de Baschet et Cie, Louis Baschet va se battre pied à pied sur le terrain juridique pendant plusieurs années. Une première victoire se profile en 1952 : un arrêté du 14 janvier limite la confiscation aux seuls biens qui ont servi directement à la parution de L’Illustration. Plusieurs immeubles peuvent ainsi être restitués. Mais c’est le 18 juin 1954 que la société pourra recouvrer la totalité de ses biens, à la suite du décret de grâce présidentielle qui la relève de toute condamnation. Il faudra encore deux ans pour que cette restitution aboutisse théoriquement, y compris celle de l’imprimerie de Bobigny. Pratiquement, les prétentions de la SNEP qui exigeait une importante indemnité pour « les améliorations apportées » retarderont encore de deux ans la prise d’effet. En réalité, comme le notera Roger Baschet, « la SNEP ne s’apprêtait à rendre que des immeubles non entretenus, ainsi que des machines usées et démodées. L’escroquerie continuait ». Après le règlement à l’amiable du différend, en 1958, l’imprimerie sera gérée jusqu’en 1969 par Denis Baschet, fils de Louis Baschet, avant de fermer définitivement en décembre 1971.

Jusqu’à son décès, le 25 juin 1972, Louis Baschet présidera aux destinées de Baschet et Cie dont l’activité principale est désormais tournée vers l’édition de livres d’art, diffusés en librairies et par un réseau qui a compté jusqu’à une centaine de courtiers, avec les Editions de L’Illustration et les Nouvelles éditions françaises (19). A propos de son cousin, Roger Baschet écrit : « En 1956, Louis reprenait possession des bureaux de la rue Saint-Georges et du fauteuil qui avait été celui de son père. De son appartement, quai Anatole-France, il refaisait deux fois par jour le trajet de son bureau. Mais en conservant les habitudes du début de la guerre, c'est-à-dire à bicyclette. Et jusqu’à sa dernière année, en dépit de ses mauvais yeux et des objurgations de ses enfants, on le vit pédaler par tous les temps, ses pantalons remontés par des pinces, silhouette devenue légendaire ». (20)

Progressivement, le flambeau passe aux mains de la génération suivante : Denis Baschet (né le 20 mai 1920) puis Eliane Allégret-Baschet (née le 28 juin 1928, décédée le 8 février 2010). Cette dernière, avec son mari Roger Allégret (21), va assurer la direction des Nouvelles Editions françaises – Editions de l’Illustration fusionnées en 1989 jusqu’à leur disparition définitive en 1999.

Le devenir de L'Illustration, de ses sites et de ses archives

L’imprimerie de Bobigny, propriété de Baschet et Cie, a employé jusqu’à 750 personnes dans les années 1960. Sans avoir vraiment retrouvé le lustre d’antan et dans un climat de concurrence exacerbé, avec du matériel vieilli, suite à une mauvaise gestion de la SNEP, elle a fermé ses portes en décembre 1971, après que Denis Baschet eut essayé de la maintenir à flot pendant près de quinze ans. Une ultime tentative aura été la fusion avec une autre imprimerie de Bobigny, la SAPHO, en 1960. Les bâtiments ont été ensuite vendus à une société de transport, la SET, qui les a occupés pendant vingt ans. Entre 1989 et 1999, le site a été ensuite laissé à l’abandon et a subi d’importantes détériorations. Pour s’en faire une idée, on peut parcourir le reportage photographique de Frédéric Champion :

« Il règne en cet édifice une ambiance froide et triste, une carcasse vide d’un passé glorieux ».

Un abandon qui va durer jusqu’à ce que la municipalité de Bobigny ne rachète le site pour le rétrocéder pour le franc symbolique à l’université de Paris XIII. Depuis 1998, l’ancienne imprimerie fait l’objet d’une réhabilitation progressive, conduite par l’architecte Paul Chemetov (cabinet Chemetov – Huidobro). Dès 1999, les premiers étudiants s’y sont installés, peu avant l’inauguration en janvier 2000 de la première phase des travaux. L’ancienne chaufferie s’est muée en gymnase, tandis que les magasins de stockage du papier ont été transformés en un amphithéâtre. Etape symbolique, le 20 septembre 2003, à l’occasion des journées du Patrimoine, la grande horloge de la tour, véritable « phare de Bobigny », a retrouvé ses aiguilles. Les terrains entourant l’imprimerie sur plus d’une vingtaine d’hectares ont été vendus en plusieurs étapes pour permettre l’extension urbaine de Bobigny. Exit la célèbre aquarelle de René Lefébure montrant l’imprimerie au milieu des champs et des jardins maraîchers ! Dès les années 1950, le site a commencé à être enserré par les immeubles d’habitation du quartier du Pont-de-Pierre. Pour l’anecdote, une scène du film Vie privée, interprété par Brigitte Bardot et Marcello Mastroiani a été tournée en 1961 dans les locaux de l'imprimerie de Bobigny, avec en fond une rotative Marinoni.

*La société Baschet et Cie, dirigée par Denis Baschet, après le décès de son père en juin 1972, a cessé ses activités en 1990. Cette année-là, les immeubles du triangle de la rue Saint-Georges, de la rue de la Victoire et de la rue de Provence, ont été vendus avant une importante opération de restructuration immobilière. Les façades de l’immeuble du 13 rue Saint-Georges, conçu en 1786 par l’architecte Bellanger, ont été conservées.

*Les Editions de L’Illustration et les Nouvelles éditions françaises ont fusionné au début des années 1990 et sous la direction de Roger Allégret et d’Eliane Allégret-Baschet, elles ont poursuivi leurs activités jusqu’en 1999, date de leur fermeture.

*Les papeteries de Savoie à La Serraz, acquises en 1931, ont cessé leur activité en 1965 et les papeteries Lux, à Furès (Isère), avec lesquelles elles travaillaient conjointement à la fabrication du papier couché ont été vendues en 1968.

*La seule activité maintenue, en rapport direct avec l’histoire de L’Illustration, est l’exploitation des millions de documents que recèlent les archives de l’hebdomadaire, enrichies par celles de Keystone-Illustration, dont Baschet et Cie avait pris le contrôle en 1939. C’est Eric Baschet (né le 11 juillet 1950) qui a dirigé L’Illustration multimédia jusqu’en 2003. Son père, Gérard Baschet (né le 18 juin 1921, fils de Jean Baschet, neveu de Louis Baschet et petit-fils de René Baschet) avait entrepris dans les années 1970 un travail titanesque : répertorier et classer les archives de L’Illustration, des millions de documents conservés dans les sous-sols de la rue Saint-Georges. De cette masse documentaire exceptionnelle, sont sortis plusieurs albums thématiques publiés dans la collection Archives de L’Illustration au début des années 1980, par les éditions Eric Baschet, puis par la Société nouvelle des éditions Eric Baschet, disparues depuis.

En avril 2007, les archives de L'Illustration ont été déclaré « collection d’intérêt patrimonial majeur » par l'état français. La société L'Illustration a décidé d'externaliser le stockage et la conservation des originaux à la Bibliothèque Nationale de France. Mais la propriété du fonds reste à la famille Baschet et sa gestion continue d'être assuré par la société L'Illustration.

*Depuis 2003, Jean-Sébastien Baschet (né en 1976), fils d'Eric Baschet, gère la commercialisation des archives de L’Illustration. C’est à son initiative que, en 2011, le nouveau site officiel de L’Illustration a vu le jour. Celui-ci permet également la mise en ligne des travaux des passionnés de l'hebdomadaire mais devrait également permettre très prochainement la consultation des 180 000 pages du magazine, qui sont en cours de numérisation.

NOTES

(1) Jacques Baschet, extrait de Marcel Baschet, sa vie, son œuvre (1942).

(2) Son propre frère, le peintre Marcel Baschet, épousera le 3 janvier 1888, Jeanne Guillemeteau (1865-1940), la sœur de Marguerite Guillemeteau.

(3) Devenu propriété de la ville de Gagny, le Parc Baschet et ses habitations à colombages de style normand, datant de la fin du XIXè, ont été récemment restaurés. Il existe aussi une rue René-Baschet, le directeur de l’Illustration ayant été maire de Gagny entre 1929 et 1935 (voir le site de la ville de Gagny).

(4) Jean-Noël Marchandiau, L’Illustration (1843-1944), vie et mort d'un journal, éd. Privat, 1987, ouvrage essentiel sur l’histoire de l’hebdomadaire, malheureusement épuisé chez l’éditeur.

(5) Comte Doria, Notice sur la vie et les travaux de René Baschet, imp. Firmin-Didot, 1958.

(6) Voir l’article qui lui est consacré dans l’Illustration du 6 octobre 1917

(7) Voir l'article sur les éditions de l'Illustration

(8) Voir les articles consacrés à Jacques de Lesdain et à l’histoire de l’unique numéro de l’édition de Lyon, daté du 21 septembre 1940 (Des n° rares : la période 1940-1944)

(9) Comte Doriat, ouvrage cité.

(10) Comte Doriat, ouvrage cité.

(11) Extrait de Nath Imbert : Dictionnaire national des contemporains, 1936.

(12) Les Baschet – Chroniques de la famille Baschet – Cent ans de souvenirs (1872-1972). Ouvrage hors commerce publié à destination des membres de la famille. La première partie, « Ma génération » a été rédigée entre le 1er juin et 15 juillet 1944 par Jacques Baschet. La seconde partie, qui couvre les années 1944-1972 est signée par Roger Baschet (« Trente ans après, mon tour est venu…). Cet ouvrage, hors commerce n’a été tiré qu’à 250 exemplaires, dont la plus grande partie a sans doute été distribuée auprès des membres de la famille Baschet. On y trouve une mine d’informations et un arbre généalogique des descendants de Ludovic Baschet jusqu’en 1974 est inséré dans le volume.

(13) Né en 1888, René Lefébure avait effectué un stage dans un cabinet d’architecture en Amérique du sud, entre 1908 et 1913. Pendant les quatre années de captivité, il prend une part active au soutien du moral des prisonniers en participant à la création des décors de différentes pièces de théâtre. La paix revenue, il reprend des études de dessin décoratif et industriel, avant de rejoindre l’Illustration en 1926 : « Auxiliaire précieux de nos services artistiques, c’est à lui qu’incombait le soin de réaliser les délicats montages de nos numéros de Noël, d’imaginer et d’établir les projets et les maquettes de nos revues, de nos albums, de nos ouvrages », lit-on dans l’Illustration du 18 octobre 1941. Outre l’imprimerie de Bobigny, René Lefébure a collaboré aux différentes transformations du siège de la rue Saint-Georges, aux extensions des papeteries de Savoie et de l’imprimerie de Saint-Mandé. C’est également lui qui avait conçu les plans des premières maisons destinées à loger le personnel de l’imprimerie de Bobigny. Plusieurs d’entre elles ont été édifiées à la fin des années 1930. Elles ont disparu au moment de l'urbanisation du quartier du Pont-de-Pierre. Le nom de René Lefébure fut gravé au pied de la tour de l’Illustration.

(14) Voir notamment sur ce blog les articles consacrés à Jacques de Lesdain et Des n° rares : période 1940-1944)

(15) C’est par un décret du 15 juin 1946 que la société Baschet et Cie avait été désignée comme entreprise dont les biens devaient être transférés à la Société nationale des entreprises de Presse ou SNEP, dont la gestion s’avéra calamiteuse. Le transfert était devenu officiel par deux décrets des 31 décembre 1946 et 1er mars 1947. Sans attendre jusque là, une nouvelle rédaction avait élu domicile dans les locaux de la rue Saint-Georges, sous la direction de Georges Oudard, pour y lancer France Illustration, en octobre 1945. Auparavant, trois numéros spéciaux avaient été tirés dans le premier semestre de 1945, sans le titre L’Illustration, mais avec la même présentation que feue l’Illustration : Les Etats-Unis en guerre, L’Angleterre en guerre et Les étapes de la victoire. La direction de l’imprimerie était alors assurée par Alfred Corouge. Pour en savoir plus, on pourra se reporter à l’article évoquant France Illustration.

(16) Intervention de Georges Masson, président du conseil de surveillance de Baschet et Cie, à l’assemblée générale du 27 janvier 1950, extrait de Baschet et Cie, L’Illustration, de la dissolution à la renaissance, brochure réalisée par Eliane Allégret-Baschet, fille de Louis Baschet (novembre 2003).

(17) L’Illustration, n°5135 – 9 août 1941. Dans un autre numéro, le 12 décembre 1940, Jacques de Lesdain avait annoncé lui même que « devant le caractère des événements actuels, (il) considère qu’il est plus conforme à sa conscience de ne plus écrire, à tout le moins pendant quelque temps ». En fait René et Louis Baschet avaient refusé de renouveler son contrat. Il faudra l’intervention d’Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne, pour que les Baschet plient.

(18) Extrait de Baschet et Cie, L’Illustration, de la dissolution à la renaissance.

(19) Plusieurs titres édités avant guerre avaient été réédités après 1944 par la SNEP Illustration, lorsque l’entreprise était sous séquestre. C’est ce qui avait conduit dès 1946 à la fondation par Louis Baschet des NEF ou Nouvelles éditions Françaises, essentiellement tournées vers la publication d’ouvrages consacrés à la peinture, dont plusieurs signés par Roger Baschet, fils de Jacques Baschet.

(20) Roger Baschet, Les Baschet : Chronique de la famille Baschet : 100 ans de souvenirs (1872-1972), ouvrage cité.

(21) Roger Allégret (1922-2006) avait épousé Eliane Baschet le 15 décembre 1955. Après une carrière débutée dans les industries métallurgiques, il est entré en 1959 aux Nouvelles Editions françaises comme secrétaire général. Il a été président du groupe des éditeurs d’art au sein du syndicat national des éditeurs. Il est décédé en juillet 2006. Eliane Allégret-Baschet, née le 28 juin 1928, est décédée le 8 février 2010. Elle a travaillé aux côtés de son père, aux Nouvelles éditions françaises. Avec Roger Allégret, elle a participé à la publication de plusieurs dizaines d'ouvrages d'art, ce qui lui a valu le grade de chevalier dans l'Ordre national des Arts et Lettres en 1997. Elle est aussi l’auteur d’une plaquette, Souvenirs autour de Bobigny (septembre 2003), qui donne de nombreuses informations sur le devenir de l’imprimerie jusqu’à son agonie et sa fermeture en 1971. Par son témoignage, elle a contribué au maintien de la « mémoire familiale » et de la mémoire de l'Illustration. Lors des premières ébauches de ce blog, en 2005, elle avait très aimablement répondu à nos questions. Nous lui sommes donc redevable de nombreuses informations.

Jean Paul Perrin