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La plus vivante des encyclopédies universelles


CE QU'EST " L'ILLUSTRATION "

Le mot « L'Illustration » évoque surtout le grand journal illustré. Il s'applique également à l'entreprise qui, parmi d'autres activités, édita cet hebdomadaire et assure aujourd'hui la conservation et l'exploitation de ses archives.


HISTORIQUE

L'Illustration a été fondée en 1843 par un groupe d'éditeurs parisiens. En 1860 la société, jusque là société de personnes, a fait appel à des actionnaires et est devenue société en commandite par actions. Depuis lors plusieurs gérants, Auguste Marc de 1860 à 1886, Lucien Marc de 1886 à 1903 et Depaepe (pendant neuf mois), se sont succédés à la tête de la société. C'est en 1904 que René Baschet fut nommé gérant et directeur de L'Illustration. par les actionnaires.
Le journal, s'était proposé dès sa fondation d'être, selon les termes d'un manifeste des fondateurs publié en 1843 dans un des premiers numéros, « un miroir fidèle où viendra se refléter dans toute son activité si merveilleuse et son agitation si variée la vie de la société ». Son développement date de l'apparition des procédés modernes de reproduction des images, vers 1885, et surtout de l'extension que sut lui donner sa nouvelle direction depuis le début du XXe siècle.

Le journal s'était étendu alors à tous les domaines. Tout événement survenant à la surface du globe trouvait en L'Illustration un témoin impartial et précis. Elle ajoutait à sa collection ses célèbres numéros spéciaux : Numéros de Printemps, de l'Automobile et du Tourisme, de Noël, et, de plus en plus fréquemment, de luxueux albums édités sur un thème particulier, comme l'Habitation, les Jardins, l'Alsace, l'Algérie, Paris, ou, à l'occasion d'un événement exceptionnel, comme les expositions internationales, l'inauguration de Normandie, la visite des souverains britanniques en France, etc.
Chaque numéro passe en plusieurs mains ; de ce fait le nombre des lecteurs en France, aux colonies et dans cent cinquante-deux pays étrangers dépasse largement le million. La revue porte partout le reflet de la pensée française. Son indépendance, son absence de parti pris, son ton calme et posé, la qualité de ses textes et de ses gravures en font le type du journal sérieux et objectif, apprécié et admiré de ses lecteurs.
Ce rayonnement qui en fait l'imprimé de langue française le plus lu dans le monde, L'Illustration le doit largement à l'effort constant d'une direction qui a su animer le journal, recruter ses artistes, ses techniciens, maintenir son indépendance, son objectivité, sa probité rédactionnelle et commerciale.
La guerre vint en 1939, puis la défaite. L'Illustration, dont la collection de guerre 1914-1918 constituait un précieux témoignage de ces événements historiques, crut, sur les assurances formelles d'indépendance données par les Allemands, qu'il lui serait possible de rester pendant ce nouveau cataclysme mondial — comme elle l'avait été depuis cent ans — le reflet fidèle des événements.
Les promesses données furent cruellement déçues ; les Allemands voulurent asservir à leur propagande ce journal dont la valeur provenait de ce qu'il n'avait jamais été un organe de polémique. Ils méconnurent son long passé, sa tradition. Malgré la résistance obstinée des directeurs, qui avaient consacré leur vie à faire de L'Illustration ce qu'elle était, ils en firent un organe de combat et de parti, lui imposèrent un rédacteur politique, une censure grossière et maladroite qui, loin d'atteindre le but que recherchaient les occupants, dénoncèrent immédiatement leur origine.
La lutte que livrèrent les dirigeants de L'Illustration contre l'asservissement qui visait le journal est relatée ailleurs. L’esprit de L'Illustration imprégné de continuité et de tradition, et indique ce qu’est ce journal centenaire, ses lecteurs abonnés de père en fils.

René Baschet qui a dirigée pendant plus de quarante et un ans L’Illustration, a pris toutes les initiatives qui en ont assuré la prospérité, ont développé le journal, étendu sa diffusion, formé sa renommée, lui ont imposé les règles d'intégrité qui ont fait la réputation commerciale de L'Illustration. Il a rassemblé et créé les moyens techniques et artistiques qui furent l'apanage presque exclusif de L'Illustration dans la grande presse mondiale.

LE JOURNAL

Un pays libre prétend à une presse libre, libre non pas seulement à l'égard du gouvernement, mais aussi à l'égard de toute influence étrangère ou financière.
Cette indépendance, L'Illustration a toujours voulu se l'assurer. Même sous la domination allemande, elle n'a pas cessé de la revendiquer.

REDACTION

Le même esprit d'indépendance animait la rédaction. Si un article était publié, c'est que sa teneur semblait conforme à la règle d'objectivité et d'impartialité du journal et que son auteur paraissait de bonne foi. Dès qu'un article sortait de cette note, un avis ou « chapeau » de la rédaction en avisait les lecteurs. Il n'a pas tenu aux directeurs du journal que les règles qu'ils avaient farouchement imposées pendant trente-six ans aient été transgressées durant l'occupation.
La politique était, en principe, écartée des colonnes du journal. Celui-ci s'efforçait de se maintenir en dehors des pressions, d'exposer des faits, d'observer le déroulement des événements. L'objectivité de ses enquêtes politiques ou économiques était reconnue de tous. Un principe régissait l'orientation du journal : l'intérêt national.

PUBLICITE.

Les règles les plus strictes ont toujours été appliquées à L'Illustration en matière publicitaire. La confiance des annonceurs et l'estime des publicitaires en portent un témoignage unanime.
Un tarif unique et immuable pour chaque emplacement, un pourcentage fixe de commissions, la prohibition formelle de toute ristourne, le contrôle régulier et officiel du tirage, la séparation absolue des emplacements publicitaires et rédactionnels, le refus systématique de concéder la régie de sa publicité sont parmi les principes traditionnels du service Publicité de L'Illustration, qui s'efforce, en outre, de ne laisser paraître que des annonces sérieuses et de refuser toute insertion suspecte.

LECTEURS

L'Illustration est un journal que l'on conserve; chaque numéro passe de main en main, il atteint toutes les communes de France, tous les pays du monde. Au contraire de la plupart des journaux imprimés à Paris, il n'est vendu dans la capitale qu'une faible partie du tirage de L Illustration. C'est en province surtout que le journal est lu. Fin 1938 on constatait que 13 % des numéros étaient destinés à Paris, 69 % à la province et aux colonies, 18 % à l'étranger.
Les abonnés ont toujours composé la plus grosse part des clients de L'Illustration (de 60 à 80 %). Ils forment un public très particulier puisqu'ils appartiennent aux milieux les plus divers, mais ils se recrutent pour une bonne part dans les professions libérales : médecins, avocats, architectes, ingénieurs, dans le commerce et l'industrie, dans l'enseignement, dans la bourgeoisie. La diffusion de L'Illustration était très importante dans les bibliothèques, les cercles, les universités en France et à l'étranger, les colonies et les pays de langue française.
Ses lecteurs appartiennent pour la plupart à des milieux instruits, ils connaissent généralement L'Illustration de longue date, depuis leur enfance souvent. Ils ont pu constater le souci d'objectivité et de vérité des articles, ils en connaissent les signataires. Ils étudient souvent à fond chaque page et n'hésitent pas à prendre la plume pour exprimer leur opinion. Toute inexactitude est immédiatement relevée. Les archives contiennent maints témoignages de ce soin apporté par les abonnés à la lecture de leur journal.
Le public de L'Illustration ne se contente pas des nouvelles au jour le jour des quotidiens ou des séries d'images de l'illustré à grand tirage. Il veut des études poussées, des tours d'horizon, des mises au point, des textes et des images qui soient des documents à l'épreuve du temps.
Les numéros de L'Illustration, en effet, sont très fréquemment reliés par leurs lecteurs, qui aiment à se reporter aux années antérieures pour y trouver une documentation objective et fidèle.
L'attachement de ses abonnés, qui s'exprime souvent en termes émouvants, leur confiance dans le journal proviennent de la mesure avec laquelle il est rédigé, de la justesse de son ton à l'égard du public auquel il est destiné.

LES EDITIONS ET L'IMPRIMERIE

La société du journal L’lllustration est un ensemble industriel complexe. Peu à peu des activités annexes ont pris place à côté de la rédaction et de la publication d'un journal hebdomadaire illustré. Ces activités, dont certaines acquirent une importance considérable, n'ont pas fait l'objet de sociétés nouvelles, mais ont été exercées parallèlement à l'édition du journal, à l'intérieur de la même entreprise. Les plus importants de ces rayons annexes sont les éditions de L'Illustration et l'imprimerie de Bobigny.
Les éditions de L'Illustration sont nées au lendemain de la guerre de 1914-1918. Le succès des numéros publiés pendant la guerre incita. Louis Baschet, alors secrétaire général de L'Illustration, à en condenser la documentation dans les deux volumes de Album de la guerre 1914-1918, qui connurent un succès prodigieux. D'autres ouvrages ont suivi, diffusés chaque année par milliers de volumes. Leurs textes soigneusement rédigés, leurs images abondantes et variées, le soin de leur présentation, la qualité de leur impression portent la marque de qualité et de fini de L'Illustration et ont assuré le succès considérable de ces éditions; citons parmi ces ouvrages : l'Atlas colonial, Atlas de France, la Peinture au musée du Louvre, la Sculpture au musée du Louvre, Histoire du musée du Louvre, Histoire de la marine, Histoire de l'aéronautique, Histoire des chemins de fer et de l'automobile. Bien que les travaux d'élaboration et de distribution et que les chiffres des ventes de ces éditions dépassent ceux de beaucoup de maisons d'édition, ce rayon, pour des raisons de commodité intérieure, est resté incorporé au journal.
L'imprimerie de Bobigny est née des problèmes sans cesse plus délicats que posait l'impression luxueuse de L'Illustration. Contrairement à beaucoup de journaux, cette revue s'imprime elle-même et réunit les activités d'organe de presse et d'imprimeur.
Les machines étaient d'abord situées au siège même du journal. Vers 1909, on fit rue Saint-Georges de grands travaux pour loger de nouvelles machines. Puis, pour répondre aux exigences de son développement, L'Illustration, tout en continuant à imprimer dans ses immeubles parisiens de la rue Saint-Georges, avait dû pendant la Grande Guerre créer une usine dans la banlieue de Paris, à Saint-Mandé.
Vers 1930 une nouvelle extension devenait nécessaire. L'édification d'une imprimerie à Paris, voisine des bureaux, fut d'abord envisagée, de nombreux immeubles furent acquis dans ce but rue Saint-Georges, rue de la Victoire et rue de Provence. La difficulté de transporter de grandes quantités de papier dans les rues encombrées de Paris, le souci d'éloigner du centre de la capitale une grande usine avec tout ce qu'elle présente d'incommodités pour son voisinage amenèrent L'Illustration à étudier l'érection (d'une nouvelle usine dans la banlieue parisienne. En 1933, l'imprimerie modèle de Bobigny, pourvue des dernières innovations techniques, était inaugurée.

CARACTERE DE L'ENTREPRISE

Les pages qui précèdent ont montré ce qu'était la tradition de L'Illustration. Cette tradition ne signifie pas attachement exagéré au passé ni réticence à aller de l'avant. Cette vieille maison sait marcher avec son temps. En matière technique, elle a édifié une imprimerie moderne suivant une formule nouvelle et originale. Tout en construisant une usine parfaitement adaptée à ses fonctions, elle a voulu l'établir à l'écart des zones d'habitation, l'entourer de verdure, en soigner les aspects extérieurs et intérieurs. En matière rédactionnelle, L'Illustration n'a pas hésité à plusieurs reprises à rajeunir sa présentation; elle a lancé la formule des numéros et albums spéciaux. En matière sociale également, elle a devancé les prescriptions législatives et n'a jamais attendu qu'elles deviennent obligatoires pour assurer des avantages à son personnel.

« L'ILLUSTRATION », ŒUVRE ARTISANALE

Malgré ses forts tirages, L'Illustration n'est pas une revue standardisée, comme on pourrait l'imaginer. Dans les services chacun est un véritable artisan qui a la fierté d'exercer un travail intelligent et faisant sans cesse appel à son initiative.
Les services de photographie, de photogravure en noir et en couleurs, de dessin, de mise en pages, de publicité, de typographie, de gravure hélio, d'offset, d'impression, de brochure et de reliure sont composés de spécialistes aimant leur métier et qui « vivent » la vie de leur journal en ce sens que chaque semaine le numéro qui paraît porte la trace de leur effort personnel. Ce travail en commun crée d'ailleurs un esprit d'équipe qui a toujours fait de L'Illustration une grande famille.
Les dirigeants de L'Illustration, artisans du développement et du prestige du journal, sont loin de se contenter de présider de haut à ses destinées ; ils sont des techniciens qui s'associent au détail de toutes les opérations que nécessite la vie de l'entreprise. A leur rôle administratif ils joignent une activité d'imprimeur; ils suivent de près les questions de gravure, d'impression, de tirage, de façonnage, de fabrication de papier même; ils sont à l'affût des nouvelles inventions et des perfectionnements techniques; ils participent à la direction artistique du journal, aux mises en pages de ses éditions; ils ont établi eux-mêmes les plans de leurs installations ou de leurs usines.

LES ŒUVRES SOCIALES DE « L'ILLUSTRATION ».

L'Illustration ne s'est pas contentée d'assurer à son personnel des rémunérations au moins égales aux tarifs syndicaux en vigueur; elle y a ajouté de multiples institutions sociales qui datent pour certaines de fort longtemps. Qu'il suffise de rappeler que dès avant 1914 des indemnités de maladie avaient été instituées et que pendant toute la durée de la Grande Guerre des indemnités fort importantes furent versées aux mobilisés.
A la veille de la guerre de 1914, L'Illustration avait institué un système de participation du personnel aux bénéfices. Ce système, ayant donné lieu à certains déboires, fut remplacé par des primes de fin d'année.
En 1921, pour que son personnel parvenu à l'âge de la retraite ne se trouve pas sans ressources, L Illustration fonde une caisse de retraites : « la Société civile du personnel de L'Illustration ». Des versements annuels effectués moitié par l'intéressé, moitié par l'entreprise assuraient à chacun au moment où il quittait la maison une retraite proportionnelle à son traitement.
L'Illustration, en outre, versa lors de la constitution de cette société les sommes nécessaires pour que les adhérents bénéficient de leurs années de présence dans la maison comme d'autant d'années de sociétariat. Lorsque les Assurances sociales furent rendues obligatoires, cette société, dont l'actif s'élevait à près de 10 millions, dut être dissoute; les adhérents qui devenaient assurés sociaux furent remboursés. Le restant de l'actif fut versé à une Compagnie d'assurances qui continue la garantie des retraites et assure des avantages comparables à ceux des Assurances sociales pour les membres du personnel dont les traitements dépassent le plafond des Assurances sociales.
Un service médical, un régime d'allocations familiales ont été institués bien avant les lois qui rendirent ces mesures obligatoires. Une Amicale du personnel, fondée sur l'initiative de collabo¬rateurs désireux d'assurer à leurs camarades le bénéfice de la mutualité, reçut de la maison de nombreuses subventions pour l'aider dans ses diverses activités.
Des comptes courants furent ouverts au personnel pour lui permettre de placer ses économies à un taux avantageux qui alla jusqu'à 7 % net d'impôts. Ce taux était de 4 % net d'impôts, alors que le taux correspondant des banques était d'environ 0,5 % brut et celui de la Caisse d'épargne de Paris, 2,75 %.
Des prêts et avances sont fréquemment consentis par la caisse de l'entreprise à des membres de son personnel qui ont à faire face à des dépenses exceptionnelles, maladie, achat de terrain, construction de maison, etc.
Lors de la création de la nouvelle imprimerie, des jardins ouvriers furent aménagés sur les terrains qui entourent l'usine, et sa réalisation était en cours quand le trouble apporté par la crise qui précéda la guerre vint interrompre les travaux. Un restaurant, aménagé dans l'usine, servait jusqu'à la guerre des repas pour un prix modique. Des groupements : Harmonie de L'Illustration, Société sportive formés spontanément parmi le personnel étaient soutenus financièrement par le journal.
Les œuvres sociales ont surtout pris un gros développement pendant la guerre. Les dépenses pour charges sociales dépassent 11 millions pour la période du 1er janvier 1940 au 31 décembre 1943 : maintien d'une fraction de leur salaire aux mobilisés, d'abord; plus tard secours aux familles de prisonniers (plus de 400.000 francs en 1943) ; subventions au Comité d'entraide aux mobilisés et aux prisonniers; subventions au Comité social d'entreprise (100.000 francs pour le démarrage du Comité social en juin 1942 ; en 1943, 225.000 francs ; 320.000 francs en 1944).
En outre, une somme égale aux cotisations du personnel était remise chaque mois par L'Illustration à son Comité social : 78.000 francs en 1942, 131.000 francs en 1943. La formation du Comité social et ces subventions permirent d'augmenter le montant des prestations assurées par l'Amicale du personnel lors de mariages, naissances, maladies ou décès et d'en étendre le bénéfice à presque tout le personnel.
Des secours allant jusqu'à 10.000 francs furent remis aux membres du personnel sinistrés en partie ou en totalité lors de bombardements aériens.
Les jardins ouvriers furent étendus à tout l'espace disponible. Ils occupaient 24.000 mètres carrés en 1941, 49.000 en 1942 et 60.000 en 1943 (on comptait alors cent vingt-deux parcelles). En outre, dès 1941, des cultures collectives étaient organisées sur les surfaces disponibles des terrains entourant l'usine. En 1944, la surface cultivée était de 128.000 mètres carrés (sans compter les jardins des maisons ouvrières).
Un contrat de culture était passé en 1944 avec une ferme de l'Ile-de-France.
Le restaurant avait dû fermer en 1939 et n'avait pu rouvrir après l'armistice faute de camions pour le ravitailler, mais à partir de fin 1943 le personnel des bureaux et des services de la rue Saint-Georges put se rendre à un restaurant corporatif dans lequel la participation de la maison finit par atteindre une fois et demie le prix payé par les membres du personnel.
Des casse-croûte étaient fournis dans la mesure du possible en 1944 au personnel qui travaillait de nuit.
Pour assurer à son personnel des avantages qui ne pouvaient être organisés dans le cadre trop étroit de l'entreprise, L'Illustration adhéra à des organisations sociales corporatives : colonies de vacances, services d'assistance sociale.

L'ILLUSTRATION PENDANT L'OCCUPATION

L'Illustration avait acquis son rayonnement et son prestige par son attitude posée et impartiale. Elle n'avait jamais voulu se faire l'organe d'une politique, elle visait un objectif plus large : refléter la vie française au travers des années sans être influencée par les variations de tendance.
L'occupation allemande a méconnu tout cela. Les Allemands n'ont pas su déceler ce qui faisait la valeur de L'Illustration. Ils ont voulu en faire un organe de parti, polémique et violent.
Cette politique n'a été admise ni des dirigeants du journal ni de ses lecteurs.
Pendant quatre ans, les directeurs et le personnel de L'Illustration n'ont cessé de résister à l'orientation nouvelle qui était donnée à la rédaction du journal.

L'Illustration pourtant n'a pas cru devoir cesser de paraître. Parce-^.ôbMe était unique, parce que seul l'ensemble qu'elle repré¬sentait pouvait permettre d'éditer un journal comme elle, elle ne devait pas abandonner ni laisser disperser ou détruire les éléments de cet ensemble. Au terme d'une lutte âpre, obstinée et cachée, les éléments matériels de la publication de la plus grande revue illustrée française restent intacts. Un public immense de lecteurs français et étrangers attend avec impatience sa réapparition.

Chefs de l'entreprise depuis plus de quarante ans, les dirigeants de L'Illustration ont estimé que leur devoir était, de rester à leur poste et d'y mener la lutte contre toutes les menaces qui pourraient peser sur leur œuvre. Ce fut là leur rôle ingrat pendant quatre ans. Ils ont lutté contre l'envahissement des pages du journal, contre l'occupation de ses immeubles, contre l'utilisation de ses presses, contre le départ de ses ouvriers, contre la prise en contrôle de la société. Ils ont fait connaître aux lecteurs par des réponses écrites ou verbales que le journal n'était plus libre et que les nouveaux articles n'exprimaient que la pensée de leurs signataires. Ils n'ont eu d'autre but que de faire subsister leur entreprise jusqu'au jour où elle serait affranchie de toute contrainte.

CONCLUSION

La France libérée veut avoir une presse indépendante. On reproche à beaucoup de publications qui paraissaient avant la guerre d'avoir été de façon plus ou moins patente les porte-parole d'intérêts particuliers. Quelques journaux pourtant ne devaient leur existence qu'à l'exploitation normale de leur titre. Parmi eux L'Illustration peut revendiquer le premier rang. Telle qu'elle a été constituée, telle que l'ont voulue ses dirigeants, elle représentait par anticipation l'exemple même de l'entreprise de presse qui fut esquissée dans l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse.

Foncièrement française, libre de toute dépendance économique ou politique, dirigée par les plus importants de ses actionnaires, L'Illustration était gérée par un directeur qui n'exerçait aucune autre activité rémunératrice. Elle justifiait régulièrement son tirage, appliquait pour sa publicité des règles strictes, n'avait jamais reçu de subvention de quiconque, même du gouvernement français. L'Illustration réalisait ainsi pleinement le type du journal indépendant et honnête.
L'Illustration s'est acquis sa diffusion mondiale et son prestige par ses traditions de mesure et d'impartialité. Véritables miroirs des événements du globe, les 5.295 numéros de sa collection centenaire constituent les plus remarquables annales de notre temps.
Sans doute l'occupation allemande a-t-elle marqué ses pages, malgré l'opposition constante et obstinée des dirigeants et de tout le personnel.
Mais, de même que la France libérée retrouve son indépendance et sa grandeur, L'Illustration, enfin débarrassée de ceux qui l'ont violentée, aspire à poursuivre sa tâche au service du pays.
La France se privera-t-elle de ce messager unique qui a tant servi son rayonnement dans le monde ?
Méconnaîtra-t-on le rôle ingrat de ses dirigeants, qui ne se sont attiré que vexations et humiliations d'un occupant irrité par leur sourde résistance, mais qui, au bout de quatre années douloureuses, ont réussi à sauvegarder les facteurs essentiels de l'entreprise : personnel spécialisé, archives, machines et imprimerie ?
Négligera-t-on l'impatience de centaines de milliers d'abonnés fidèles et de lecteurs qui, sachant qu'avec l'ennemi du pays les ennemis de L'Illustration ont été du même coups chassés, souhaitent retrouver chaque semaine leur journal préféré ?
Songera-t-on enfin au grand vide que creuserait dans nos colonies, à l'étranger et jusque dans les pays les plus reculés l'absence de L'Illustration, grâce à laquelle la voix de la France, la pensée et l'éclat de la France trouvaient chaque jour une audience accrue ?