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La plus vivante des encyclopédies universelles


La France au-delà des mers, par Patrick Mahé


C'étaient des comptoirs aux noms de comptine : Chandernagor, Pondichéry, Karikal, Yanaon et ahé... Avec eux, l'enfance était épicée des parfums du large et notre imagination, guidée par les taches roses s atlas nous portait, comme en rêve, vers tous nos pays du soleil.

L'Outre-Mer commençait vraiment à notre porte.
Le Maroc et la Tunisie disaient leur fierté d'être sous "Protectorat" français. Grande sœur émancipée, l’Algérie s'enorgueillissait du statut de "département'.

Tous trois étaient le seuil de l'Empire. A leurs pieds, la tache rose s'étendait vers l'Afrique occidentale : Sénégal, Tchad, Togo, Gabon, Dahomey, Guinée, etc... avec une petite fenêtre orientale donnant sur l'extrémité sud de la Mer Rouge. H e n ri de Monfreid, aristocrate d'écriture, allait planter sur cette côte française des malis, le décor de sa vie littéraire et aventureuse.
Et puis il y avait Madagascar. Sa flore sauvage est celle des forêts vierges. On y trouve des palmiers, des bambous, du raphia ; on y récolte le riz et les plantes à parfum. Et son sous-sol, très riche, permet des rêves en or. Une île plus grande même que la France ...

Remontant vers l'Est, on butinait aux rivages de l'Inde pour débarquer plus loin, encore chez nous, là, presque de l'autre côté de la Terre, en Indochine et le Mal jaune nous prenait. Comme un virus contagieux.
Ironie des Temps amers, c'est ici, pourtant, qu'allait sombrer l'Empire français sur les cendres de ses héros.

Mai 1954. Dans la cuvette de Dien-Bien-Phu, monte un chant funèbre. Le Vietminh déferle des collines. Giap a gagné. Les nouveaux Pavillons Noirs balaient les Képis Blancs. Bientôt il n'est plus possible de se maintenir au Tonkin. Les réfugiés affluent déjà en Cochinchine. Adieu Plaine des Joncs, adieu baie d'Along, dieu frêles et jolies vietnamiennes. Déjà le feu couve dans les Aurès. Adieu, bientôt, Alger-la-blanche ...

Trente ans ont passé depuis ces brasiers mal éteints.
Le rideau est tombé sur l'imagerie déjà jaunie des Colonies. Il en reste la nostalgie des épopées guerrières rendues vaines et le retour en catastrophe des fils de pionniers débarquant, hagards, désargentés, dans une métropole enivrée par les premiers délices de la société de consommation.

Nos dernières citadelles tiennent sur l'appellation barbare de "D.O.M. - T.O.M." (départements et territoires d'Outre-Mer) comme n'importe quelle administration affublée d'initiale.
Aux taches roses des atlas d'hier succède le bleu des catalogues de voyages.
L'armée des touristes a pris la relève des rêveurs casqués. C'est par charters que les employés bien notés viennent brûler au soleil des Tropiques leur treizième mois de salaire ou leur prime de bilan.

En posant leur crème à bronzer aux Antilles, beaucoup ignorent tout des corsaires à particule, des flibustiers en embuscade ou des colons illusionnés promis aux coups de bambou des Indiens caraïbes, mais que savent-ils des Caraïbes ? Qui leur dira, dans nos écoles d'aujourd'hui, pourquoi flotte encore, à défaut du pavillon des conquêtes, la langue créole dérivée du français ?
S'ils sillonnent les îles mères traditionnelles - Guadeloupe, Martinique - que savent-ils de leurs filles, séduites elles aussi par nos navigateurs voilà plus de trois siècles et demi : Sainte-Lucie, les Saintes ou la troublante Marie-Galante ?...

Les Antilles, qui ouvrent ce "Grand Dossier de l'Illustration", sont la destination la plus courue par les métropolitains en quête d'exotisme vrai : huit heures d'avion, guère plus qu'un Paris-Marseille en T.G.V. et c'est la garantie d'une plage de carte postale sur fond de rhum, de canne à sucre et de tabac.

La Guyane, dit-on, est la sœur jumelle des Antilles françaises. Cousine à la mode des Caraïbes, plutôt. Insoumise et rebelle, elle nous ouvre les portes de l'Amérique du Sud et nous plonge dans les sortilèges amazoniens. Seule la région côtière est habitée. Seul le centre expérimental de Kourou, d'où est lancée la fusée Ariane, invite à rêver au XXIe siècle. Ses fleuves gris, l'Oyapok et le Maroni, coulent à travers les méandres d'une inextricable forêt vierge. Ses richesses se veulent innombrables mais elles demeurent sous-exploitées en raison d'un climat hostile et des fièvres qui menacent la main-d’œuvre. Ici les chercheurs d'or ne font pas recette. Ici aussi survivent les Indiens caraïbes, sortis d'un autre âge, et, bien sûr, flottent en permanence, les légendes du bagne désaffecté aux portes de Cayenne d'où montent encore les proclamations d'innocence du vieux Seznec, les complaintes de Dreyfus et l'épique évasion de Papillon...

Bien plus haut, cap au Nord, vers le Canada et les "quelques arpents de neige" bradés par Louis XIV, subsistent dans leur froideur, à la manière des héros de Loti, les pêcheurs bretons de Saint-Pierre et Miquelon. Ils sont, sous notre bannière, les dernières sentinelles de la France américaine.

L'Outre-Mer, c'est encore deux régions harmonieuses qui valent toutes les poussières d'Empire.

Celle de l'Océan indien d'abord, gloire et fierté des corsaires Malouins, La Bourdonnais en tête. A quelques bras de mer de Madagascar, à une portée d'aileron de l'île Maurice, la Réunion, si bien nommée, veille de tous ses pitons volcaniques comme la proue d'un vaisseau. A quelques lieues de là, Mayotte, tandis que, tout là-bas, aux portes du sixième continent, les îles éparses et Kerguelen, nous conduisent en Terre-Adélie. Un enfer blanc, au sous-sol inexploré, que se disputent, comme d'ailleurs tout l'Antarctique, les grandes puissances internationales.

Dernières "danseuses de la France", les perles d'Océanie. Les îles de Tahiti et de Mooréa font partie de l'archipel des îles de la Société. Leurs massifs montagneux ceinturés d'un récif de corail sont entrés dans l'imaginaire du paradis terrestre célébré par les voyageurs, peintres, romanciers et cinéastes. Gauguin parmi nous.

Elles forment la Polynésie française. Leur végétation luxuriante, l'agrément de leur climat, la douceur de caractère de leurs habitants et la sensualité subtile de leurs vahinés, leur valent une cote d'amour jamais égalée.

Plus au large, à l'Ouest, vers l'opulente Australie, la Nouvelle-Calédonie se profile comme notre porte-drapeau des mers australes. Elle est si riche que ses indigènes y agitent le pavillon de la sécession.

Veillent encore, ici, Wallis et Futuna, là, le singulier rocher de Clipperton, qui tire sa fierté de son absolue solitude, au large des côtes sud-américaines du Pacifique.

Ce panorama plutôt nostalgique n'est pas sans promesse... Il nous invite à réfléchir sur ce qui reste de nos positions insulaires et côtières éparpillées.

Avec des zones maritimes immenses, les terres de l'Outre-Mer donnent encore à la France une dimension stratégique de niveau planétaire. Mais là n'est pas l'objectif de ce "Grand dossier'.' Pour l'heure, il nous entraîne, par la rigueur de l'Histoire, la richesse de l'anecdote, et notre soif de connaissance, à en apprendre plus sur nous-mêmes, sur les éveilleurs de rêve et les bâtisseurs d'épopée.

Si les "confetti de l'Empire" célèbrent toujours la France du bout du monde, nous en saluons les pionniers. D'abord.

Patrick MAHÉ