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La Guerre Civile Espagnole par Jean Cau


Numéro spécial de L'Illustration sur la guerre civile espagnole, 1937
Numéro spécial de L'Illustration sur la guerre civile espagnole, 1937



C'était en 1936 et elle fut, la guerre d'Espagne, l'une des stars de l'Histoire du demi-siècle. Il est vrai qu'elle avait tout pour plaire et surtout les couleurs manichéennes dont elle fut, par les uns comme par les autres, outrageusement fardée. La croix ou le couteau entre les dents, le Mal (ou le Bien) franquiste contre le Bien (ou le Mal) républicain. Les Fascismes contre les Démocraties. Le Rouge et le Noir, en somme et, entre ces deux cordes, toute la lyre pincée par les aèdes du monde entier avides de trouver un prétexte à engager leur littérature, Hemingway, Malraux, Koestler et cent autres de moindre tonnage.

Les miliciens républicains avec une jeune fille près du front de l'Aragon, 1936
Les miliciens républicains avec une jeune fille près du front de l'Aragon, 1936
Alors, pêle-mêle, dans les mémoires — à condition qu'elles soient au moins sexagénaires pour qu'y tintent quelques souvenirs — voici : Franco et son calot à pompon, Guernica, les combats de Madrid, Carabanchel, Terruel, la chute de Barcelone, la résistance de l'Alcazar de Tolède, les Brigades Internationales, des meetings au « Vel d'Hiv », des « avions pour l'Espagne », des fusillés, des fusilleurs, des dinamiteros, des anarchistes, des communistes, des prêtres, la Légion Condor, la Pasionaria, etc. et Malraux, toujours lui, cigarette au bec et déguisé en aviateur.

C'est à peu près tout. Ensuite, des réfugiés, la victoire des Nationalistes et, paraît-il, « la nuit de la dictature qui pendant quarante ans, s'abattit sur l'Espagne », ce qui, étrangement, n'empêcha pas des dizaines de millions de touristes d'aller tâtonner dans cette nuit qui, non moins étrangement, se termina sans heurt aucun par l'instauration aurorale de la démocratie et la possibilité pour l'Espagne de faire son entrée, comme puissance de premier rang, dans l'Europe.

Franco dirigeant l'offensive de Catalogne, 1939
Franco dirigeant l'offensive de Catalogne, 1939
Dès 1936, néanmoins, le mythe vola, propulsé par les réacteurs, en général « de gauche » de la passion. Certes, de plus en plus, il vole bas et, peu à peu, l'Histoire est revisitée. Le temps est désormais fini où l'ivraie n'était que franquiste et le bon grain républicain. On sait et on dit, désormais, que la guerre civile espagnole donna lieu, des deux côtés, à des scènes d'une cruauté inouïe. Selon l'historien britannique Hugh Thomas, dont l'objectivité a été saluée, 40 000 personnes furent massacrées par les Nationalistes, sans jugement, durant le seul été 36 et 75 000 par les Rouges. Après cette saison en enfer, exécutions et tueries ne cessèrent pas avant la fin des hostilités.

Le plus troublant ce fut, répétons-le, la manière dont fut pendant près d'un demi-siècle mythifiée cette guerre. De « l'Espoir » de Malraux au film « Mourir à Madrid », de « Pour qui sonne le glas » de Hemingway aux bernanosiens « Grands cimetières sous la lune », l'émotion bascula vers les Républicains sans que la raison se demandât si leur victoire n'eût pas été le triomphe du plus épouvantable stalinisme. Une simple statistique, la seule précise et qui concerne les ecclésiastiques mis à mort, le plus souvent par égorgement, aligne ses chiffres terrifiants : 12 évêques, 5 255 prêtres, 283 religieuses, 249 jeunes novices, 2 492 moines, soit la presque totalité des religieux dans les zones contrôlées par le gouvernement de Madrid !

Après la prise de la colline, les prisonniers sont ramenés dans les lignes insurgées, 1938
Après la prise de la colline, les prisonniers sont ramenés dans les lignes insurgées, 1938
L'équivoque vint de ce que Berlin et Rome soutinrent les Nationalistes alors que les démocraties apportèrent leur aide au « Frente popular ». Oui sauf que, parmi ces démocraties, s'était glissée l'U.R.S.S. et que le Frente n'avait plus rien de popular et était tombé tout entier sous la coupe stalinienne dans sa version la plus délirante, alors que les Franquistes ne furent jamais prisonniers des dictateurs allemands et italiens et par eux idéologiquement infectés. La différence est de taille et cette taille est énorme. La victoire du franquisme fut celle, dans les années qui suivirent la guerre, d'une dictature nationaliste, centralisatrice et se référant aux valeurs d'un christianisme extrêmement conservateur, durci plus encore par un adversaire qui avait fait de lui l'ennemi idéologique n°1, à extirper par tous les moyens. (Il y eut, si j'ose dire, « de la Vendée » dans cette guerre...). En revanche, la victoire du Frente popular, si elle s'était produite, eût été - absolue - celle d'un Staline contre lequel, à l'extérieur, ni Léon Blum, ni André Malraux n'eussent fait le poids. Pourtant, de 1936 jusqu'à la mort de Franco, il fut de bon ton de verser des torrents de larmes démocrates sur la République vaincue.

Cadavres de miliciens au pied des murs de l'Alcazar, sur le glacis qui fait face au tage, à Tolède, 1936
Cadavres de miliciens au pied des murs de l'Alcazar, sur le glacis qui fait face au tage, à Tolède, 1936
Mais quel eût été, de celle-ci, le visage ? Tout simplement celui de Beria, glabre, et de Staline, moustachu, alors que le Franquisme n'eut jamais la mèche du Führer et les lorgnons d'Himmler. Veut-on d'un rêve impossible qui explique tout ? Imagine-t-on en Allemagne, aujourd'hui, un Hohenzollern régnant qui aurait sauté sur les genoux d'Hitler ? Imagine-t-on le IIIe Reich devenu, sans aucune secousse, une démocratie constitutionnelle ayant à sa tête un roi ? Ou Staline, tuteur et précepteur d'un Romanov rétabli sur le trône de toutes les Russies ?

Arrêtons, de grâce, de simplifier. Le XXe siècle n'a pas vu le combat des démocraties contre un totalitarisme. Ni en Espagne, en 36 ; ni en Europe de 40 à 45. Plus brutalement dit, les démocraties s'allièrent à un monstre pour en terrasser un autre. En Espagne, ne triomphèrent, à l'issue de la guerre, ni le monstre noir, ni son frère rouge, mais une dictature de couleur blanche que l'Histoire a fait, sous nos yeux, virer démocratiquement... au rose.

Jean CAU
Ecrivain et journaliste français

Des républicains allongés le fusil en joue guettent les troupes nationalistes dans les collines, 1936
Des républicains allongés le fusil en joue guettent les troupes nationalistes dans les collines, 1936