864ac6eda9bb1d7aa19fa0c6b0fa54ef.txt

La plus vivante des encyclopédies universelles


La période 1940-1944

La période 1939-1944 a séduit de nombreux collectionneurs de L’Illustration. Il n'est pas rare de rencontrer dans certaines annonces de mises en vente des formules telles que "rare", "exceptionnel", "très recherché", "introuvable" et autres variantes, les propositions de prix étant en rapport avec ces formules. Il faut toutefois savoir rester lucide : pendant ces cinq années 1939-1944, le tirage de L'Illustration dépassait encore les 100.000 exemplaires et il ne fait guère de doute que bien des greniers et des caves doivent renfermer encore des collections, sagement emballées ou ficelées.


Hormis les quelques numéros spéciaux (Noël 1939, 1940, 1941 -- L'Empire français dans la guerre, 10 mai 1940 -- L'automobile 1941 -- Les salons de peinture 1940, 1941, 1942, 1943, 1944) qui bénéficient de leur statut de spéciaux (davantage de pages en couleur, couverture couleur, encarts avec pages couleur contrecollées, pagination éventuellement accrue, publicités plus nombreuses...), les prix demandés peuvent parfois paraître un peu excessifs.

Cela ne veut pas dire que cette période troublée ne renferme pas quelques « pépites » vraiment rares donc forcément plus chères. En voici quelques unes dont deux sont quasiment introuvables.

UN NUMERO « MYTHIQUE » : LE N° 5076 DU 15 JUIN 1940

La période 1940-1944
Quel collectionneur de L'Illustration n'a pas rêvé de mettre la main sur ce mythique n° 5076, qui aurait été tiré à 200.000 exemplaires, en principe sur les presses de l'imprimerie de Bobigny, mais qui ne fut jamais diffusé, à cause de la débâcle de juin 1940. La quasi-totalité des exemplaires ont été vraisemblablement détruits. Comment? Par qui? Pourquoi? Difficile de répondre de manière irréfutable.

Première hypothèse : ce numéro, bloqué à l'imprimerie de Bobigny, au moment de la débâcle, n'a jamais été diffusé faute d'avoir reçu l'autorisation de l'Occupant. Il contenait un article d'une page entière, signé R.C. consacré au général de Gaulle et à ses théories en matière de guerre, qu'il avait pu développer dans divers ouvrages, tels que Vers l'armée de métier. Rappelons que de Gaulle avait été nommé sous-secrétaire d'état à la guerre, le 5 juin 1940, dans le cabinet de Paul Reynaud, avant-dernier gouvernement de la IIIè République. La tonalité générale de l'article lui étant très favorable, on comprend aisément que ce numéro n'ait jamais été autorisé par la suite, De Gaulle étant devenu l'homme de l'appel du 18 juin. La direction de l'Illustration semblait pourtant encore garder quelques illusions puisque, en ouverture du n° 5084 du 17 août 1940, le premier à reparaître à Paris, on pouvait lire ceci: "A nos lecteurs...Le dernier numéro mis sous presse à notre usine de Bobigny portait la date du samedi 15 juin (...). Ce numéro, entièrement rédigé, composé et imprimé, n'a pu être diffusé par suite des circonstances". Et de préciser : "Ses quelque 200.000 exemplaires sont entreposés à Bobigny d'où ils seront expédiés à nos abonnés dès que la chose sera possible". On connaît la suite. Le même article évoquait succinctement le contenu de ce numéro qui relatait le départ du gouvernement pour Bordeaux devant l'avance allemande, le 9 juin, ainsi que l'entrée en guerre de l'Italie, le 10 juin. Le communiqué est donc des plus affirmatifs : ce n° 5076 a bien été imprimé.

Seconde hypothèse suggérée par un collectionneur : le n°5076 aurait bien été imprimé mais pas à l'imprimerie de Bobigny. Le tirage aurait été réalisé par l'imprimerie Mame, à Tours. Mais, celle-ci ayant subi les bombardements allemands, une partie des ateliers ont été détruits et les exemplaires de l'Illustration auraient brûlé à ce moment-là. Pour appuyer cette explication, on peut mentionner un courrier daté du 25 novembre 1981, adressé à un collectionneur par la société Baschet et Compagnie – L’Illustration : « Le n°5076 de L’Illustration, pouvait-on lire, n’a jamais paru, l’imprimerie Mame à Tours ayant été bombardée. Nous avons reconstitué ce numéro d’après les épreuves retrouvées ». Cette dernière allusion renvoie, on aura l’occasion de le voir, à un jeu de photocopies de ce qui a été ou qui aurait dû être le fameux n° 5076. Cette version est plausible, d'autant que des machines avaient été installées à l'imprimerie Mame par L'Illustration, en prévision d'un repli éventuel. Dans le n°5079 (édition de Bordeaux), René Baschet relate le voyage de Bordeaux à Paris qu'il a entrepris en compagnie de Robert de Beauplan et de M. Lacam, secrétaire du ministre de l'information, les 26 et 27 juin. Il s'agissait alors de faire le point avec les autorités d'occupation pour s'enquérir "des possibilités de publication des journaux français dans la capitale occupée". Au retour, de passage par Tours, il évoque dans son récit "l'imprimerie Mame où nous avions entreposé plusieurs de nos presses et plieuses, en prévision d'un "repliement" de l'Illustration (qui) n'est plus qu'un monceau de ruines. Notre prudence a tourné contre nous. Voila plusieurs millions à imputer aux frais de guerre. Nous avions quitté à temps cette ville qui a été bombardée le mercredi 19 juin". On notera que René Baschet ne parle à aucun moment de l'impression de L'Illustration à Tours.

Dans un autre numéro publié en 1940, on voit même une photo montrant les locaux dévastés de l'imprimerie, sans qu'il soit toutefois fait allusion aux numéros de L'Illustration qui auraient été détruits. Il reste donc un problème en suspens: si l'on suppose que le n° 5076 a été détruit, après avoir été tiré à Tours, pourquoi, dans ce cas, évoque-t-on (voir plus haut) les 200.000 exemplaires stockés à Bobigny, en attente d'autorisation pour être expédiés aux abonnés? Le mystère reste entier. Seul le témoignage d’un employé de l’imprimerie de Bobigny, y ayant travaillé à ce moment-là, pourrait peut-être apporter quelques indices et permettre de trancher. Mais en reste-t-il encore en vie, compte tenu que tout cela se passait il a plus de 70 ans ?

Sur l’énigme de ce n° 5076, on dispose aussi de la version que donne Gaston Sorbets, rédacteur en chef, dans le premier numéro publié à Bordeaux, le 22 juin 1940. Dans un éditorial non titré, en deuxième page, il écrit : « La préparation de celui de nos numéros qui devait paraître à la date du samedi 15 juin était achevée le mardi précédent à Paris, rue Saint-Georges, et se poursuivait à l’imprimerie de Bobigny, lorsqu’il devint évident que son brochage et son expédition ne pourraient avoir lieu. A plus forte raison ne pouvait-on songer à commencer le numéro suivant. En effet, le Ministère de l’information, avec ses services de censure se repliait sur Tours. Et cet exode en annonçait d’autres. Laissant alors provisoirement en suspens le départ de ce numéro du 15, nous allions transférer l’essentiel de nos services de direction, d’administration, d’impression, de brochage et d’expédition à l’imprimerie Mame, déjà remarquablement installée, et que nous complétions avec notre outillage spécial. Quelques pages du numéro du 22 juin prirent forme, mais, dès le samedi 15, on se rendit compte que ce numéro ne pourrait pas non plus être achevé là avec quelque chance d’être expédié. Le Ministère de l’information se repliait encore; la S.N.C.F. suspendait le départ de ses trains; les services de l’imprimerie Mame fermaient les uns après les autres. Il ne nous restait donc, à notre tour, qu’à redescendre plus au Midi, sur Bordeaux, où la très grande et très moderne imprimerie Delmas nous faisait confraternellement accueil ». Si l’on suit Gaston Sorbets, il n’y aurait donc eu ni tirage ni brochage sur les presses de Bobigny.

Ajoutons qu’un autre collectionneur avisé m'a pourtant affirmé avoir vu ce numéro 5076 passer en vente aux enchères en 1972. L'exemplaire, selon ses propos, était partiellement brûlé. Il m'a dit également connaître un collectionneur possédant un numéro dans le même état. Enfin, un amateur du Nord-Pas-de-Calais m'a dit détenir une copie de plusieurs pages de ce numéro dont l'original était en mauvais état. De là à penser que ces exemplaires auraient été brûlés, à une époque où l'on ne parlait guère des techniques de recyclage du papier. Quoi qu'il en soit, dans le sommaire table des matières du Tome II de 1940 couvrant la période mai - août 1940, destiné à la reliure des collections, on ne trouve aucune indication des articles figurant dans ce n° 5076. Il ne fait toutefois guère de doute que des exemplaires ont dû circuler et ce numéro n'est probablement pas qu'un mythe, mais qu'il existe bel et bien. Quant au prix...Sans doute quelques milliers d'euros. Lors de la vente de 1972 évoquée plus haut, l'exemplaire aurait dépassé les 3.000 francs de l'époque, ce qui, par simple actualisation représenterait au moins 2.000 à 2.500 euros. Et encore ne tiendrait-on pas compte du fait que les amateurs de L'Illustration n'étaient alors pas aussi nombreux qu'aujourd'hui. On n'ose imaginer ce que serait la cote d'un n°5076 en bon état!

LE CONTENU DU N°5076

Personnellement, je ne l'avais jamais vu jusqu'à ce que je tombe sur la photocopie intégrale de ce fameux numéro (20 pages et 4 pages de publicité sur les 6 annoncées). L'exemplaire porte des annotations de pagination manuscrites, et les images et dessins sont également numérotés à la main, comme s'il s'agissait d'uns série d’épreuves qui auraient été faites avant correction par le secrétariat de rédaction et signature du « bon à tirer ». C’est cette photocopie que la société Baschet et Cie – L’Illustration évoquait dans le courrier de novembre 1981 cité plus haut. A cette époque, la société disposait même en stock de quelques exemplaires des éditions de Clermont-Ferrand qu’elle pouvait fournir à la demande. La copie du n° 5076 a été commercialisée pendant quelques années pour répondre aux demandes pressantes des collectionneurs. Il n’est donc pas étonnant que toutes les copies circulant soient identiques. Quel était le contenu de ce numéro ?

Page de couverture: 1ère page manquante. Sur la 2ème de couverture, outre les informations sur les tarifs d’abonnement, on trouve une courte chronique sur les « Lois et règlements à portée de tous : accidents d’automobiles : piétons renversés en dehors d’un passage clouté ». 4 publicités complètent l’espace : Le dentifrice Nicota « à base d’oxybenzopiridine (qui) neutralise la nicotine et garde les dents non seulement blanches mais saines » -- Lait Candès pour le visage – Liqueur Cordial Médoc -- « Réveillez la bile de votre foie, sans calomel. Et vous sauterez du lit le matin, gonflé à bloc]i » grâce « aux petites pilules carter pour le foie ». Enfin, on trouve un petit encart pour les Ateliers de photogravure de l’Illustration.

Page 209: Outre la date (15 juin 1940) et les mentions 98è année - n° 5076, elle comporte le titre L'ILLUSTRATION en bandeau et les noms de René Baschet, directeur, Louis Baschet, codirecteur et Gaston Sorbets, rédacteur en chef. A la une, figure un dessin pleine page de Georges Leroux, "A Paris, une heure après le bombardement, près d'un point de chute, scène vue le 3 juin, avenue de X...", avec Citation de Paul Reynaud, président du conseil, en bas de page: "Quelques minutes après le bombardement, j'ai vu le visage fier de ce peuple de Paris qui ne sait pas trembler".

Page 210: L'épopée des Flandres : 2 compositions de Charles Fouqueray (La défense de la côte entre Calais et Dunkerque et L'évacuation de l'armée: contre-torpilleur et cargos devant la rade de Dunkerque, pendant l'embarquement).

Page 211: Réfugiés (article non signé) illustré de 4 dessins de Lucien Jonas (chaque dessin porte un n° manuscrit : 305 à 308).

Pages 212-213: L'épopée de Dunkerque (article non signé) avec 5 illustrations dont 4 photos (Rangées en bon ordre, les troupes françaises et britanniques attendent sur la plage leur embarquement / Soldats et marins français de l'armée des Flandres débarquent en Angleterre / Trois belles figures de la marine française : Le vice-amiral Abrial, le contre-amiral Platon, le contre-amiral Leclerc...). Les photos et dessins son numérotés à la main 314 à 318.

Page 214: Technique et tactique: les divisions blindées et l'aviation d'assaut, avec une photo du Général de Gaulle. L'article donne un aperçu très détaillé des idées du colonel puis général de Gaulle, alors sous-secrétaire d'état à la guerre, dans le cabinet Paul Reynaud. Citons les premières lignes: "Quand en 1934 M. Charles de Gaulle publia son ouvrage aujourd'hui célèbre, "Vers l'armée de métier", très rares furent les critiques qui discernèrent les mérites de ce petit volume (...).Et cependant, voici qu'après six ans d'attente, les événements donnent singulièrement raison à l'auteur...". S'ensuit un long article signé R.C. (Robert Chénevier ?) très favorable au Général de Gaulle. C'est sans doute là la principale explication de la non diffusion et de la destruction des exemplaires imprimés de ce n° 5076. Après l'appel du 18 juin, la signature de l'Armistice par le maréchal Pétain le 22 juin et le début de la collaboration, il eût été impensable pour Vichy, comme pour la censure allemande, de laisser passer un tel article.

Page 215: Le bombardement des communications allemandes (article signé C.R.), avec 3 vue aériennes prises par la Royal Air Force portant chacune un visa (A 3.995)...): Coupure de voies ferrées à Dinant -- Coupure de routes à Floing -- Destruction de ponts à Sedan.

Page 216: Sérénité dans la tourmente (composition pleine page de Georges Scott): "Un exode encore...Des religieuses fuient l'envahisseur emmenant avec elles les enfants, les vieilles femmes qui vivaient à l'ombre de leur couvent. Et le calme qui les habite s'épand sur ce groupe de malheureuses en déroute".

Pages 217-218-219-220: Les Halles pendant la guerre. Texte de Raymond Lécuyer, accompagné de 9 aquarelles de José Simont (donc pages en couleurs).

Pages 221-222 : Les conséquences possibles en Extrême Orient du pacte russo-allemand. Texte du docteur A. Legendre, accompagné d'une carte (La poussée soviétique en Chine, autour de la zone d'occupation japonaise). En introduction de l'article, on lit: " Le docteur Legendre, dont les opinions personnelles sur la question d'Asie ne sont pas toujours conformes à l'opinion courante mais font incontestablement autorité, nous communique cette étude, accompagnée d'une carte, que l'on regardera avec intérêt".

Page 222 (bas): Chasseurs biplaces. Article signé C.R., avec 2 photos: "Le Boulton Paul "Defiant", le plus récent avion de guerre de la Grande-Bretagne "(visas A 9.899 et 92374).

Pages 223-224-225: La gigantesque "Bataille de France". Article non signé, illustré de 1 photo (Un détachement de relève monte en ligne) et de 2 grandes cartes centrées l'une sur le nord de la France et la frontière belge et l'autre sur le nord-est (Luxembourg...). L'article résume les événements survenus jusqu'au 9 juin, ainsi que l'attitude de l'Italie et des Etats-Unis. Il s'achève par l'évocation du remaniement ministériel au sein du cabinet Paul Reynaud ("La volonté française"). Il cite des extraits de la déclaration de Reynaud: "Dans le péril extrême que nous courons, c'est sur nous, d'abord que nous devons compter. Toutes les forces de la nation sont tendues vers un seul but: Résister pour pouvoir ensuite vaincre" (...). Conclusion de l'article: "En s'adressant au pays le 6 juin, le chef responsable du gouvernement (...) a ajouté: "Aujourd'hui, je viens vous apporter des raisons d'espérer ".

Page 226: Le camp retranché de Dunkerque évacué par embarquements sous le feu (composition de ??? en pleine page).

Pages 227-228 : La lutte en Norvège. Court article non signé accompagné de 5 photos portant en titre générique Un débarquement français en Norvège : Nos troupes parviennent en vue des côtes norvégiennes sous la protection de puissantes unités franco-anglaises -- Nos chasseurs scrutent à la jumelle la terre qu'ils vont défendre -- Conduites au rivages par les chaloupes du bord, les troupes mettent pied à terre. Deux photos couvrent la page 228 sous le titre générique "L'action alliée en Norvège]i" ("Dans la nuit polaire, l'attaque et l'incendie par notre marine de la base de Bjervick, proche de Narvik" et "Un de nos navires de guerre transporteur de troupes appuie le débarquement de celles-ci par un tir d'artillerie".

Pages de publicité: 7 pages d'annonces sont foliotées mais les pages I et II manquent. Les messages et la tonalité générale sont souvent en décalage avec le désastre militaire qui est en train de se jouer. Cinzano: « Auprès de ma blonde…Gais refrains…Bons vins de France…Dispensateur d’optimisme…L’optimiste boit du Cinzano » (III) -- Bons d'armement (pleine page) : « Vous souscrirez ? Voila ! Les bons d’armement doivent couvrir intégralement les dépenses de guerre. Ce tank que vous venez d’acheter en souscrivant protégera de sa masse d’acier et de sa puissance de feu l’avance de nos fantassins. Là encore, ce seront des vies françaises épargnées. » (IV) --- Rasoline Molinard («Lorsque vous aurez tout essayé vous adopterez définitivement la Rasoline Molinard. De passage sur la Riviera, visitez nos usines de Grasse ]i» et Suze (« i[Dans les airs, sur terre, sur mer, la santé avec une Suze, l’amie de l’estomac ») (V) -- les bas Montagut (« Même en été, portez madame des bas Montagut. Fins, mats, solides, transparents ») et Plaisirs de France - Images de France, avec le sommaire du n° 69 (7ème année, 1940)(VI) – La 7è page, qui aurait dû correspondre à la 3ème de couverture, comporte 7 publicités : Bénédictine, « la grande liqueur française » – Dentol : «Fumez sans crainte pour vos dents…Indispensable pour l’hygiène de la bouche » -- Les cigarettes Week End, « goût anglais » – La moutarde forte Grey poupon, « à Dijon, au vin blanc » – Les lits Dupont : phlébites, fractures, paralysie – Les gants Perrin, « une qualité immuable » -- les Bas DD : « Pour vos bas, reposez vous sur DD ».

Troisième de couverture: diverses publicités: Bénédictine -- Gant Perrin - Dentol -- Lits Dupont -- Bas DD -- Moutarde Grey-Poupon -- Corrector. On y trouve aussi 3 courts comptes rendus bibliographiques de livres de Géo London, Jean Rostand et Pierre Francastel. En bas de page, figurent les mentions légales: L'administrateur gérant: Jean Baschet. Imprimerie de l'Illustration, 153 route de Saint-Denis à Bobigny, Seine - Printed in France -- L'imprimeur gérant: Emile Achard.

Quatrième de couverture: manquante. Les mentions légales figurant en 3è de couverture, on peut penser qu'elle était certainement dévolue à une publicité pleine page. Laquelle?...

Au total, on le voit il s’agissait d’un contenu parfaitement dans l’air du temps : essayer d’informer…mais aussi de rassurer pour ne pas laisser l’opinion céder à la panique. Inutile de préciser la suite et de rappeler que Paris ne fut pas « défendue pierre par pierre » comme l’avait clamé haut et fort, et sans doute bien imprudemment, le gouvernement qui avait déjà mis le cap sur Tours, avant de rallier Bordeaux. Passons donc maintenant à d’autres raretés, mais cette fois-ci plus « abordables », quoique parfois chères : les numéros publiés lors de l'exode, entre le 22 juin et le 14 septembre 1940: les fameuses éditions de Bordeaux et de Clermont-Ferrand qui manquent dans la plupart des collections.

L'EDITION DE BORDEAUX : SEULEMENT 3 NUMEROS

Après le départ de Paris, un premier repli de l'équipe de L'Illustration avait eu lieu sur Tours où René Baschet comptait faire tirer un ou plusieurs numéros sur les presses de l'imprimerie Mame. Des machines y avaient été installées dans cette perspective. Mais, l'avancée allemande et le bombardement de Tours, avec destruction de l'imprimerie Mame, ont contraint L'Illustration, on l’a vu précédemment, à aller plus au sud. C'est l'étape de Bordeaux, avec la parution de trois numéros (n° 5077, 5078 et 5079) tirés sur les presses de l'imprimerie Delmas. Le tirage étant tombé à moins de 15.000 exemplaires, faute de papier, ces trois numéros d'un format 210/270 mm, sans couverture, sont donc plus rares et encore plus difficiles à trouver en bon état. Le fait de tomber sur un volume relié les contenant est encore plus rarissime. Quant aux prix, ils peuvent très vite grimper: un très bel exemplaire de l'édition de Bordeaux peut s’envoler à 300 ou 400 euros, surtout s’il s’agit du tout premier. Depuis quelque temps, les prix semblent toutefois à la baisse.

La période 1940-1944
Compte tenu des difficultés de l’heure, il n’est sans doute jamais parvenu aux abonnés et il n’a fait l’objet d’une diffusion que dans la moitié sud du pays, à partir de Bordeaux. Dans le n° 5078 du 29 juin, un court article, illustré par un dessin d’André Galland, évoque « la vente de l’Illustration dans les rues » : « Le dimanche 23 juin, à Bordeaux, aux carrefours, sur les places, devant les cafés, des vendeurs professionnels vendaient le dernier numéro paru de notre journal. Spectacle inhabituel, certes. En effet, L’Illustration – dont la majorité de la clientèle est constituée par ses 135.000 abonnés – est d’ordinaire mise en vente dans les kiosques et chez les libraires, mais non criée dans la rue. A vrai dire, il s’agissait d’un « lancement » exceptionnel. Notre numéro précédent (15 juin) n’ayant pu être expédié de l’imprimerie de Bobigny par suite du repliement de tous les services sur Tours, puis sur Bordeaux, notre hebdomadaire réapparaissait dans la grande cité girondine, affirmant ainsi son désir de continuer à servir la cause française. Cependant, son format était réduit et le nombre de ses pages restreint. En effet, le stock de papier que nous avions pu nous procurer sur place était limité et nous imposait la formule que nous avons dû adopter. Néanmoins, dès les premières heures de cette mise en vente, le succès s’affirmait très vif et nombreux étaient les passants qui emportaient précieusement ou feuilletaient hâtivement leur périodique favori ». Dans le numéro 5080, le premier publié à Clermont-Ferrand, on pourra même lire en dernière page que « L’illustration n’a pas cessé de paraître pendant la bataille de France et pendant la période de l’Armistice. Ses numéros des 22 et 29 juin, et du 6 juillet, édités à Bordeaux ont été, dans tout le Midi de la France, mis en vente sous ce format réduit qui, déjà, fait prime et prend une valeur de collection ». Une vision des plus prémonitoires.

Imprimerie Montlouis à Clermont-Ferrand en 1940.
Imprimerie Montlouis à Clermont-Ferrand en 1940.
Dans ses Souvenirs autour de Bobigny (1933-2003), Eliane Allégret-Baschet, fille de Louis Baschet, a retracé cet épisode de l’exode : « Le numéro du 15 juin n’a pu être achevé à Bobigny, l’imprimerie ayant reçu un ordre de repli de la part du Ministère de l’Intérieur. Un accord avait été conclu au début de la guerre avec l’imprimerie Mame, à Tours, où même deux machines avaient dores et déjà été transportées. Le numéro du 22 devait y être imprimé, mais le 16 du même mois, le préfet ordonne l’évacuation de la ville de Tours. 25 automobiles et un autocar transportent alors 136 employés et ouvriers qui trouveront refuge en Dordogne, où ils seront accueillis par un collaborateur de l’Illustration, Paul Lasternas. René et Louis Baschet, eux se rendent à Bordeaux pour demander à leur confrère, l’imprimerie Delmas, d’assurer le tirage de l’hebdomadaire. Là sont imprimés trois numéros en format réduit, tirés à 15.000 exemplaires (…). L’armistice est signé le 25 juin (en réalité de 22 juin 1940, ndlr). Dès le lendemain, René Baschet retourne à Paris afin d’étudier l’éventualité d’une réinstallation rue Saint-Georges et à Bobigny. Il trouve le siège social et l’imprimerie intacts, cependant celle-ci est investie par les Allemands. Lorsque le 28 juin, René Baschet regagne Bordeaux, la ville est occupée par les allemands. Il faut alors trouver un confrère journal situé en zone libre qui pourrait assumer le tirage du journal. Ce sera l’imprimerie Montlouis à Clermont-Ferrand où seront tirés 9 numéros à 45.000 exemplaires. Le 17 juillet, René et Louis Baschet se rendent à nouveau à Paris. Ils obtiennent l’évacuation de l’imprimerie. Se pose alors à la direction ce dilemme fondamental : rester à l’abri en zone libre et laisser l’imprimerie à la disposition des Allemands ou affronter le risque d’un retour, reprendre les rennes de l’imprimerie pour éviter que le personnel ne soit sous la direction des autorités d’occupation et travaille pour des publications allemandes. C’est cette deuxième solution qui est choisie. La remontée vers Paris et la reprise en mains de l’imprimerie sont décidées ».

La suite, ce sera la présence imposée de Jacques de Lesdain durant quatre ans à la rédaction politique, en fait direction politique, de l’hebdomadaire, évoquée par ailleurs. Progressivement, le personnel remonte à Paris : « 83, puis 225, puis 333 ouvriers réintègrent l’imprimerie », écrit Eliane Allégret-Baschet. Fin décembre 1940, ils seront 451 membres du personnel à avoir rejoint leur poste. Dans courant de 1941, l’imprimerie comptera 501 personnes. Entre temps, dès le 17 août 1940, L’Illustration aura renoué avec son ancienne présentation, tout au moins pour son édition de la zone occupée, tirée sur les presses de Bobigny.

Signalons pour finir cette évocation des éditions de Bordeaux et de Clermont-Ferrand, que outre les photographies nombreuses, on trouve beaucoup de dessins à portée allégorique ou simplement documentaire, y compris sur les unes. Ils sont dus le plus souvent au crayon de José Simont et d’André Galland, deux dessinateurs maison qui ont suivi la rédaction sur les routes de l'exode. Plus rarement, apparaît la signature de Géo Ham. Quant aux articles, ils sont signés exceptionnellement par René Baschet, voire Gaston Sorbets, tandis que les noms qui reviennent le plus souvent sont ceux de Robert Lambel – Robert de Beauplan, Paul-Emile Cadilhac, Ludovic Naudeau ou Roger Baschet. Voici les thèmes des différentes unes et les sommaires.

La période 1940-1944
n°5077 (22 juin): Le Maréchal Pétain président du conseil, dessin de José Simont. Editorial de G.S. (Gaston Sorbets) : « La France est au tournant le plus tragique de son histoire »-- Les opérations militaires et diplomatiques (R.L., Robert Lambel, pseudonyme de Robert de Beauplan) – Le problème méditerranéen (Georges G-Toudouze) – La place de la Comédie à Bordeaux (dessin en double page de José Simont) – La garde aux Alpes (Paul-Emile Cadilhac) – Chasseurs parachutistes (texte de Camille Rougeron, dessins d’André Galland). (16 pages).

La période 1940-1944
n°5078 (29 juin): Le deuil national, dessin de José Simont représentant la cérémonie religieuse du 25 juin 1940 à la cathédrale Saint-André de Bordeaux) – Le deuil national (Paul-Emile Cadilhac) –La fin des hostilités en France (Robert de Beauplan) – La vie à Bordeaux (dessins de José Simont) – Les clauses des deux armistices (Robert de Beauplan) -- Avec l’armée française des Alpes -- Choses vues au cours de l’exode (dessins d’André Galland) – La vente de l’Illustration dans les rues (dessin d’André Galland)--(16 pages).

La période 1940-1944
n°5079 (6 juillet): Au travail... La une de couverture, dessinée par Josée Simont montre un jardinier, portant un pan ier, la fourche et le râteau sur l’épaule, alors que les soldats allemands semblent regagner la zone occupée, suite à l’application des clauses de l’armistice. Le jardinier ressemble étonnamment au maréchal Pétain. Rien moins qu’un hasard… On trouve dans ce numéro le récit du voyage accompli par René Baschet et Robert de Beauplan à Paris, dès la fin juin, pour étudier l'éventualité d'une reparution du magazine, la siège du journal et l'imprimerie de Bobigny ayant été placés sous séquestre par l'Occupant : Visite à la capitale occupée par les allemands (texte de René Baschet, accompagné de 8 dessins d’André Galland) – La semaine politique, avec dessin en double page de José Simont : le conseil des ministres, à l’Hôtel du préfet de la Gironde, pendant le séjour du gouvernement à Bordeaux—Les événements extérieurs – Maintien du patrimoine français – Après la bataille -- (16 pages).

L'EDITION DE CLERMONT-FERRAND : 9 NUMEROS

L'équipe de rédaction à Clermont-Ferrand
L'équipe de rédaction à Clermont-Ferrand
Une fois l'armistice signé, L'Illustration quitte Bordeaux pour Clermont-Ferrand. Le premier numéro clermontois est tiré sur les presses de l'imprimerie Montlouis, rue Blatin, propriété d'un certain Pierre Laval. C’est là que la rédaction a élu domicile, entre les rames de papiers, ainsi qu’en atteste un dessin d’André Galland (n°5081). Quelques semaines plus tard, dans le n° 5088, un long article de Paul-Emile Cadilhac, illustré de dessins d’André Galland, reconstituera l’ambiance d’une « nuit à Papyropolis » Le tout premier numéro clermontois porte la date du 13-20 juillet 1940 (n°5080), avec le même format que celui de Bordeaux. C'est seulement avec le n° 5081 que le format s'agrandit en passant à 250/270 mm, sans toutefois retrouver celui d'origine ni la couverture à bandeau de couleur. Le tirage augmente et se situe alors autour de 40 à 45.000 exemplaires. Ces numéros quoique toujours difficiles à trouver, sont donc un peu moins rares que ceux de Bordeaux. Pour les prix, on peut aisément dépasser les 100 Euros, si le numéro est impeccable. Comme pour ceux de Bordeaux, on assiste toutefois depuis quelque temps à un repli des prix.

La période 1940-1944
n°5080 (13-20 juillet): Les honneurs de la guerre, dessin d’André Galland : « Les troupes italiennes présentent les armes aux éléments français qui avaient résisté jusqu’à l’Armistice dans les forts de Haute-Maurienne » -- Dans le sud-est français – La résistance française en Savoie et en Dauphiné – Les grands jours d’Auvergne 1940 : La nouvelle constitution (texte de Robert Lambel, alias Robert de Beauplan, dessins de José Simont) -- L’assemblée nationale de Vichy (Texte de Paul-Emile Cadilhac, dessins en double page de José Simont : La séance historique de l’assemblée nationale du 10 juillet dans la salle de théâtre du casino de Vichy) – Chronique des réfugiés (texte de Paul-Emile Cadilhac, dessins d’André Galland) – Dans la zone occupée – Une visite dans la zone occupée (texte de Robert de Beauplan relatant le voyage effectué à Paris, en compagnie de René Baschet, les 26 et 27 juin 1940 : « Voilà Paris sous l’occupation allemande, tel que j’ai aperçu son extraordinaire visage, le 27 juin 1940 » -- Le nouveau billet de cent francs – Le calvaire de Saint-Michel -- (16 pages).

n°5081 (27 juillet): L’école pour la patrie (texte d’Albéric Cahuet, illustration de la une de José Simont) -- Philosophie d'une défaite (Ludovic Naudeau -- Les événements politiques et militaires (Robert Lambel)—Pouvait-on sauver la paix ? (Robert de Beauplan) -- La fin antique du docteur Thierry de Martel – Reconstruire (composition d’André Galland) – Au théâtre du casino de Vichy pendant la séance de l’Assemblée nationale (reportage photographique) – Le 14 juillet du chef de l’Etat Français à Vichy -- La vie à Clermont-Ferrand (Robert de Beauplan, illustrations d’André Galland) – Des fleurs pour Vercingétorix – Les évacués souriants : ceux de Gibraltar -- Le détachement des pompiers de Paris à Clermont-Ferrand -- (24 pages au format 250/270).

La période 1940-1944
n°5082 (3 août): Le retour (composition d’André Galland) – La répétition de 1918 (Ludovic Naudeau) – Les événements intérieurs et extérieurs (Robert lambel) – 1936 – 1940 : « Le désastre français a été accablant par sa rapidité, par son étendue…Nous nous permettrons de dire cependant que nous en avons eu, il y a déjà quatre ans, la préfiguration et la sensation directe et aussi poignante qu’en ces derniers jours. C’était un soir de printemps 1936…Depuis, jour après jour, semaine après semaine, l’œuvre de destruction morale et matérielle se poursuivit… La France pouvait être livrée à l’adversaire»…(G.S., Gaston Sorbets) – Chronique de Vichy (Paul-Emile Cadilhac, dessins d’André Galland) – L’école polytechnique à Toulouse (Roger Baschet, photographies d’Emmanuel Sougez) – Les cités refuges à Clermont (Albéric Cahuet, dessins d’André Galland) – Le grands amiraux français à l’honneur – La France et le Saint-Siège – La nouvelle légation de France à Bogota – Une exposition d’architecture française à Genève (Noëlle Roger) -- (20 pages)

La période 1940-1944
n°5083 (10 août): A Mers El Kébir : gerbe produite par une salve de 380 Britanniques. A gauche et à droite, les bâtiments Provence et Strasbourg – Pour la paix future (Gabriel Hanoteaux) —La prise d’armes de Clermont-Ferrand -- Les événements intérieurs et extérieurs – Carte de la France avec « les 5 zones déterminées par les autorités allemandes dans la partie nord de la France « -- Le Maréchal et les paysans – A Mers El Kébir : une agression qui s’achève en bataille naval (article anonyme de 12 pages, accompagné de nombreuses illustrations dont 2 en doubles pages : En plein combat : l’escadre française sous le feu des obus britanniques et Vue d’ensemble du combat de Mers El Kébir dans sa première phase – L’époque des moissons en Auvergne – Images d’un monde nouveau (Paul-Emile Cadilhac, dessins de José Simont et André Galland) – Le trentenaire du scoutisme – Départs et arrivées (dessins d’André Galland) -- (24 pages)

La période 1940-1944
n°5084 (17 août): Le ministre de la justice, M. Alibert, reçu à Riom, par le président de la cour suprême, M. Caous – L’installation de la Cour suprême : « La recherche et le jugement des responsables de notre malheur national n’auront pas souffert des hésitations et des atermoiements où se perdent en général les grands procès politiques. La cour suprême de justice, créée par l’acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet dernier, s’est réunie le 8 août à Riom (…). La cour suprême a signé son acte de naissance. Elle va maintenant agir. Le prologue est joué : le drame commence » (texte de Paul-Emile Cadilhac, composition en double page de José Simont : l’installation de la cour suprême) – Flammes d’héroïsme dans la tourmente – La résurrection de la grande Chartreuse (Paul-Emile Cadilhac) – Les événement intérieurs et extérieurs – Départs (Dessins d’André Galland, dont un en pleine page : « Avant la passage de la ligne de démarcation : une halte forcée sur le chemin qui ramène à la terre promise ») -- Après la bataille sur les bords de la Loire (série de clichés dont une photo d’un des bureaux de l’Illustration détruit dans les locaux de l’imprimerie Mame à Tours) -- Une calme retraite (la maison de famille où s’est retiré M. Albert Lebrun, à Vizille (Paul-Emile Cadilhac) -- (20 pages).

A compter de cette date et jusqu'au 14 septembre inclus, il parait deux éditions de L'Illustration, distinctes par les articles, le format et la pagination : l'édition de Clermont pour la zone sud et l'édition de la zone occupée, imprimée à Bobigny et réalisée depuis la rue Saint-Georges. Les séquestres ont été levés et L'Illustration peut reparaître à Paris, mais les Baschet ont dû accepter l'arrivée de Jacques de Lesdain, imposé par l'ambassadeur Otto Abetz et le Doktor Grimm de la Propaganda Staffel. Chaque semaine, De Lesdain va désormais livrer un long article promouvant la collaboration et stigmatisant les Alliés et les résistants. L'édition de Paris, qui a fait par la suite l'objet de numéros de réassort pour complément de collection (sans pages de publicité) est donc nettement moins rare et plus facile à dénicher, à des prix sans surprises. Celle de Clermont, en revanche reste plus rare. Voici les 4 derniers numéros clermontois, toujours en format 250/270.

La période 1940-1944
n°5085 (24 août): L’offensive aérienne contre l’Angleterre (composition d’André Galland, renvoyant à un article intérieur non signé) -- Philosophie d'une défaite : pour qu’il existe une France, il faut d’abord des Français (Ludovic Naudeau) – Les opérations militaires –Le gazogène a-t-il sa forme définitive ? (Jacques Sorbets, illustrations de Géo Ham) – La deuxième audience de la Cour suprême – Baccalauréat à la chaîne (Paul-Emile Cadilhac, dessins d’André Galland) – Les événements intérieurs et extérieurs – La vie des champs en Auvergne à l’époque des moissons (photographies Jousse) – L’heure du régionalisme (Albéric Cahuet) – Champ de foire (Paul-Emile Cadilhac, dessins d’André Galland) – L’organisation dirigée du travail et de l’industrie – Sanctuaire inspiré : dans l’ombre de Notre-Dame du Port (Albéric Cahuet, dessin de José Simont) – Les journalistes étrangers à Vichy-- (20 pages).

La période 1940-1944
n°5086 (31 août): A la recherche des disparus : L’agence centrale des prisonniers de guerre à Genève (Noëlle Roger) – La Grande-Bretagne, avant et après l’armistice (Gabriel-Louis Jaray) --- Les événements intérieurs et extérieurs -- Une pittoresque cité d’Auvergne : Billom (Robert de Beauplan illustrations de José Simont) – Le buffet aux livres (Paul-Emile Cadilhac, dessins d’André Galland) –La retraite britannique dans le désert de Somalie et Les attaques de l’aviation italienne contre Malte et la défense britannique (compositions pleine page d’André Galland) – La fin de « L’Assommoir » -- Les anciens combattants formeront une légion – Léon Trotski n’est plus : « Le doctrinaire fanatique de « la révolution permanente » est tombé sous les coups d’un mystérieux communiste, dans le dernier asile qu’après ses nombreuses et retentissantes expulsions lui avait offert le Mexique » -- Anachronismes : Paris août 1940 –Menton 1940 (Yves Gohanne) – Un mariage : le capitaine Jacques Weygand -- (20 pages).

La période 1940-1944
n°5087 (7 septembre): La jeunesse au travail... (Photo d’une jeune paysanne, portant une fourche sur l’épaule et tenant un cheval, au milieu des travaux des champs. Cette photo figurait déjà en couverture du premier numéro publié à Paris, le 17 août 1940, sous le titre : « Moisson de guerre : la France qui renaît ») – L’appel de la jeunesse : « Nous eûmes naguère un ministère des loisirs : autant dire de l’oisiveté, de cet état de corps et d’esprit torpide et négatif qu’ignore l’homme sain, de qui l’intelligence est constamment sollicitée par une activité digne de lui. Nous avons maintenant un ministère de la jeunesse. C’est positif et c’est une indication encourageante des aspirations du nouveau régime »… (Article anonyme, mais pouvant être de Jacques Sorbets, illustré de photos du rassemblement de 80 chefs scouts à l’Oradou) – Les Compagnons de France (Jacques Sorbets) – Cette jeunesse…(Albéric Cahuet, dessins de José Simont) – Les terrains d’éducation physique et sportive : « Un clocher, une école, un terrain de sport »…La jeunesse française prépare son développement physique – La maison des étudiants archéologues sur le plateau de Gergovie (Jean Delage) – Le camp de Vic-le-Comte (Jacques Lembras) -- Faveurs et clientèles (Albéric Cahuet) : « Des machines ont recommencé à rouler pour des fabrications pacifiques : un brave petit gars commence avec entrain son apprentissage (dessin d’André Galland)– Blessés à l’honneur – Les événements intérieurs et extérieurs – Le Comte de Paris, chef de la « Maison de France » -- Traditions rouergates (24 pages).

La période 1940-1944
n°5088 (14 septembre): Rentrée scolaire. Composition de José Simon, montrant une salle de classe, avec le maître au tableau, face aux élèves. On peut lire sur le tableau : « Vichy, le 2 septembre 1940. Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur (16 juin 1940, Maréchal Pétain) » -- Vers des temps nouveaux (premier éditorial de Jacques de Lesdain) : « Les lecteurs de l’Illustration connaissent déjà la signature de M. Jacques de Lesdain qui depuis plus d’un an nous a donné nombre d’articles dont on a pu apprécier, à l’époque, la clairvoyance (…). Aujourd’hui, où sur les ruines du passé tout est à reconstruire, c’est avec la même franchise parfois rude, mais nécessaire, que M. Jacques de Lesdain jette un regard sur « les temps nouveaux ». En réalité, l’article de Jacques de Lesdain avait déjà été publié dans le second numéro de l’édition parisienne de L’Illustration, daté du 24 août --(20 pages) – A nos lecteurs et abonné : « Une bonne nouvelle pour les amis de l’Illustration. Notre numéro de la semaine prochaine (21 septembre) sortira des Imprimeries réunies, 33-35 rue Rachais, à Lyon, dans le grand format auquel nos lecteurs étaient accoutumés et sous couverture à bande de couleur (…). Voici dorénavant l’Illustration en mesure de renouer avec sa tradition de grand hebdomadaire français d’actualité illustrée. Cette remise en train ne va pas, on le conçoit, sans de multiples difficultés qui, nous l’espérons, pourront être progressivement atténuées ». Dans un petit encart, L’Illustration annonce la réouverture des pages publicitaires, abandonnées depuis l’Exode : « Tous renseignements utiles concernant l’édition diffusée en France non occupée, aux colonies et à l’étranger, sont fournis sur demande à notre service de publicité, 33 rue Rachais à Lyon ». – Contrastes américains -- Un cours d’éducation physique inauguré par M. Jean Borotra – Rentrée scolaire 1940 – Français d’origine et français d’artifice (Albéric Cahuet) : « Que d’escroqueries, de vols, de crimes ont été signés chez nous par des noms de tous les autres pays ! Que de sinistres boîtes à tous trafics ont été dans Paris et dans nos grandes villes ouvertes par de louches immigrés, incapables de pratiquer des activités plus saines ! Que d’apatrides munis d’autorisations de complaisances, voire de faux passeports, se sont révélés dans le butin des rafles ! Il faute que tout cela cesse et les décrets pris par le maréchal Pétain contre les étrangers fraîchement naturalisés ou follement supportés, sont à cette heure chez nous, avec les prudences et les exceptions équitables qu’ils prévoient, des mesures de salut public » -- Une nuit à Papyropolis (Article de Paul-Emile Cadilhac sur l’imprimerie Montlouis à Clermont-Ferrand, abritant de nombreux journaux repliés, dont l’Illustration – Croquis et dessins d’André Galland) – Les heures de juin – juillet au Conservatoire national de Paris – Les événements intérieurs et extérieurs – Problème technique d’un débarquement (Camille Rougeron) – Le retour des réfugiés et l’aide allemande – (20 pages)

A partir de cette date, même si L'Illustration maintient une rédaction en zone libre, Cours Gambetta à Lyon, avec Denis Baschet (petit-fils de René Baschet et fils de Louis Baschet), Albéric Cahuet, Paul-Emile Cadilhac, Ludovic Naudeau et quelques autres, il n'y aura plus qu'une seule et unique édition, hormis le n° du 21 septembre, dont il est question ci après. L’Illustration a retrouvé le format 250/320 mm et la couverture à bandeau rouge, d'avant guerre. Le tirage sur les presses de Bobigny est alors de 140.000 exemplaires. Jean-Noël Marchandiau (L’Illustration 1843-1844, vie et mort d’un journal, éd. Privat, 1987) donne la répartition suivante de la diffusion:

Zone occupée: 35.000 exemplaires pour les abonnés et 40.000 pour la vente au numéro

Zone libre: 25.000 exemplaires pour les abonnés et 40.000 pour la vente au numéro.

Avec les difficultés d'approvisionnement en papier, le tirage va décroître jusqu'en 1944, ainsi que la pagination, pour tomber à moins de 100.000 exemplaires sur seulement 16 pages. A noter aussi que dès la fin de décembre 1943, L'Illustration se voit contrainte de ne plus paraître que toutes les deux semaines, ce qui explique les numérotations doubles de l'année 1944, jusqu'à l'ultime parution du n°5292-5293. Hormis ce tout dernier numéro, rarissime, on est loin de la "rareté" des éditions de Bordeaux et de Clermont-Ferrand. Donc, il faut savoir raison garder sur les prix demandés.

L'EDITION DE LYON : UN NUMERO UNIQUE

n° 5089 du 21 septembre 1940

A priori, à compter du 21 septembre 1940, il n'y avait donc plus qu'une seule édition pour les deux zones, composée à Paris, rue Saint-Georges, et imprimée à Bobigny...Du moins c'est ce que je pensais, jusqu'à ce qu'un collectionneur du Nord-Pas-de-Calais me contacte pour me signaler l'existence d'un autre n°5089 imprimé à Lyon et daté du 21 septembre, qui aurait été immédiatement détruit. Or aucune étude sur L'Illustration, y compris celle de Jean-Noël Marchandiau qui fait autorité en la matière, n'en parle. Cet amateur m'en a fait parvenir une copie. Volonté de la direction de L'Illustration de maintenir une édition lyonnaise avec une ligne éditoriale qui soit moins sous la pression de l'ambassade d'Allemagne, tout en reprenant le contrôle des sites de Bobigny et de la rue Saint-Georges? C’est plausible…Mauvaise interprétation des conditions négociées à Paris entre L'Illustration et les autorités d'occupation, par l'intermédiaire de Jacques de Lesdain? Difficile à imaginer. En tout cas, ce numéro qui existe bel est bien est à ranger parmi les "incunables" avec ceux de Bordeaux. Cote éventuelle en conséquence pour qui le trouverait!

Cette édition de Lyon aurait probablement dû être destinée à une diffusion en zone libre. Or ce numéro a été immédiatement interdit et n'a pas été distribué...Mais il n’est pas inutile de revenir sur le contexte de sa publication.

Rappelons d'abord succinctement que face à la menace d'invasion allemande, le dernier numéro préparé à Paris et mis sous presse avant tirage à Bobigny a été le n° 5076, daté du 15 juin 1940 (voir plus haut). Ensuite, la rédaction et le personnel s'étant repliés à Bordeaux, 3 numéros, de format réduit, sans couverture à bande de couleur ni publicité, ont été imprimés par l'imprimerie Delmas (N° 5077,5078 et 5079 des 22 juin, 29 juin et 6 juillet).Puis, c'est à Clermont-Ferrand qu'ont été préparés et tirés sur les presses de l'imprimerie Montlouis les n° 5080, 5081, 5082 et 5083 datés des 13/20 juillet, 27 juillet, 3 août et 10 août. Quoique de format agrandi, à partir du n° 5081, ils n'ont toujours ni couverture, ni publicités, mais ils constituent la seule et unique édition de l'Illustration entre le 22 juin et le 10 août 1940. Celle-ci est exclusivement diffusée en zone non occupée.

Entre temps, les autorités d'occupation avaient mis sous séquestre le siège de l'hebdomadaire, rue Saint-Georges, et l'imprimerie de Bobigny, peu après l'entrée des troupes allemandes à Paris. L'Armistice étant signé le 22 juin 1940, avec une France désormais séparée en deux zones principales, l'une "libre" au sud et l'autre "occupée" au nord, se pose alors pour René et Louis Baschet le problème de la reparution de L'Illustration à Paris. Dès le 26 juin, René Baschet, accompagné de Robert de Beauplan, s'est rendu de Bordeaux à Paris pour y discuter des éventuelles conditions de reprise. Mais ce voyage semble avoir été un échec puisque René Baschet rentre à Bordeaux dès le 27. Dans le récit qu'il donnera de ces deux journées (n° 5079 du 6 juillet) il ne parle d'ailleurs pas d'une reparution éventuelle de L'Illustration à Paris, ni de contacts qu'il aurait pu avoir. Tout au plus mentionne-t-il l'existence de journaux français publiés dans la capitale, dont une édition de Paris-Soir, publiée sans l'assentiment de son propriétaire, l’industriel Jean Prouvost.

Du côté de l'occupant, on envisage une reparution de L'Illustration le plus rapidement possible, avec ou sans la collaboration de son ancienne équipe rédactionnelle et de ses propriétaires. On est conscient de l'aura et du prestige dont l'hebdomadaire jouit encore dans une partie de l'opinion. Dans une note adressée dès le 15 juillet 1940 au général Streccius, Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne à Paris, parle d'une "nouvelle édition de l'hebdomadaire français le plus important" et, ajoute-t-il, "sous notre direction immédiate". Abetz dispose de l'homme de la situation pour lui confier les rênes de L'Illustration. Il s'agit de Jacques de Lesdain (voir l'article qui lui est consacré). Dès lors, "Fallait-il laisser l'ennemi dans la place, lui offrant ainsi l'occasion de l'utiliser librement pour les fins de propagande ou fallait-il venir la lui disputer en tentant l'impossible pour minimiser son emprise?". C'est sur cette question que Louis Baschet, après guerre, bâtira sa défense personnelle en même temps que celle du journal et de la société éditrice. Dès le 17 juillet, René et Louis Baschet étaient retournés à Paris et ils avaient pu obtenir, dans un premier temps, que l’imprimerie de Bobigny soit évacuée.

De Lesdain ayant été imposé avec la fonction de rédacteur (directeur?) politique, la levée de la réquisition sur le siège du journal et sur l'imprimerie est prononcée. Le retour du personnel peut commencer. Ils sont d’abord 83 à regagner Paris et ils seront bientôt 333 à avoir rejoint leur poste balbynien. René et Louis Baschet veulent encore, semble-t-il, croire à l'existence d'une certaine marge: "Au début, écrira René Baschet, le 18 mars 1941, dans une lettre adressée à Fernand de Brinon, illusion d'indépendance, collaboration occasionnelle de M. de Lesdain"...Illusion seulement car la pression allemande s'accentue, les plaintes de Jacques de Lesdain se multiplient et le maintien de l'édition de Clermont-Ferrand va très vite venir sur le devant de la scène. Elle est jugée trop "vichyste", trop "indépendante" ou pas assez ouverte aux textes de Jacques de Lesdain et la censure allemande en vient rapidement à exiger sa suppression, sous peine d'interdiction de L'Illustration.

A propos de l'équipe rédactionnelle présente à Clermont-Ferrand avant qu'elle ne gagne Lyon, sous la responsabilité du jeune Denis Baschet (fils de Louis Baschet et petit-fils de René Baschet) avec Albéric Cahuet, Ludovic Naudeau, Gaston Sorbets et son fils Jacques Sorbets ou encore Paul-Emile Cadilhac et des dessinateurs comme André Galland, Otto Abetz n'hésite pas à parler de "clique clairement germanophobe". En ligne de mire, figure Ludovic Naudeau, collaborateur de longue date de L'Illustration, dont quelques articles sur l'Allemagne, publiés au début des années 1930, n'ont pas eu l'heur de plaire aux responsables nazis. René Baschet se retrouve donc convoqué à nouveau à l'ambassade d'Allemagne et à la Propaganda Staffel. Il lui est enjoint de se plier à Jacques de Lesdain, qui aura droit de regard et de décision sur tous les articles à caractère politique et, ceci, pour une durée d'au moins cinq ans, garantie par contrat. Faute d'accepter, la parution de L'Illustration sera totalement suspendue, avant que le journal ne reparaisse, peut-être sous un autre titre, mais avec les mêmes moyens matériels, sous la direction totale, cette fois-ci, de Jacques de Lesdain.

Selon l'historienne Barbara Lambauer, biographe d'Abetz, il était même précisé que tous les membres du personnel non présents à Paris devraient être mis à pied. Une précision qui concerne bien évidemment l'équipe de Clermont qui est en train de s'installer à Lyon. En même temps, est exigée la liste des membres du conseil d'administration de la société éditrice, Baschet et Cie. Les menaces se font donc de plus en pressantes pour obtenir à la fois la mainmise de Jacques de Lesdain sur l'hebdomadaire et la suppression de l'édition de la zone libre.

Officiellement donc, le n° du 14 septembre 1940 aurait dû être le dernier publié en zone non occupée. Or il n'en est rien puisque, le 21 septembre, deux n° 5089 seront publiés, l'un à Paris, l'autre à Lyon. Leur contenu diffère totalement et, dans chacun d'eux, les propos tenus aux lecteurs sont contradictoires. On notera toutefois que ce numéro lyonnais avait bien été annoncé, en ces termes, aux lecteurs dans le n°5088 de l'édition de Clermont.: "Une bonne nouvelle pour les amis de l'Illustration. Notre numéro de la semaine prochaine (21 septembre) sortira des Imprimeries Réunies 33-35 rue Rachais, à Lyon, dans le grand format auquel nos lecteurs étaient accoutumés et sous couverture à bande de couleur (...). Voila dorénavant l'Illustration en mesure de renouer sa tradition de grand hebdomadaire français d'actualité illustrée"...Les Baschet annoncent donc clairement que l'édition de la zone libre va continuer sa parution. C'est ce qui va conduire, la semaine suivante, à la publication de ce seul et unique numéro lyonnais, introuvable aujourd'hui parce que immédiatement interdit et sans doute détruit.

LE CONTENU DU N°5089, PUBLIE A PARIS

Au moment où sort l'édition lyonnaise, l'édition "parisienne" du n°5089 se veut sans la moindre ambiguïté, quant à la suite: "Depuis qu'elle a reparu à Paris, le 17 août, après un exode provincial de plus de deux mois, voici le 6ème numéro que L'Illustration publie dans son format habituel, selon sa tradition. En annonçant notre retour, nous disions que nous ne dissimulions pas les difficultés que des circonstances exceptionnelles nous créaient. Dans l'ordre matériel et malgré les obstacles que rencontrent les transports et les communications, nous avons pu améliorer d'une façon sensible nos moyens de diffusion. Une conséquence immédiate a été la possibilité de supprimer l'édition en format réduit que, d'une façon provisoire nous avions continué à faire imprimer à Clermont-Ferrand (...). A partir de cette semaine, il n'y a plus comme par le passé qu'une seule Illustration rédigée, composée et imprimée à Paris, en nos bureaux de la rue Saint-Georges et en notre usine de Bobigny et c'est elle qui sera mise en vente ou reçue partout".

Un peu plus loin, il est précisé, à propos de la ligne que compte suivre l'Illustration: "Notre revue publiée sous la même direction et avec la même équipe de rédacteurs reste un journal exclusivement français qui n'a d'autre idéal que de servir toutes les causes françaises. La France veut et doit renaître". Il faut toutefois préparer les lecteurs à la tonalité particulière que Jacques de Lesdain va imprimer au journal: " Dans la présente confusion des idées et des consciences, nous ne saurions nous flatter de complaire indistinctement à tous nos lecteurs, à moins de nous condamner à la banalité et à l'insignifiance. Est-ce trop attendre de ceux qui nous font confiance qu'ils n'exigent point que tous les articles qu'ils liront dans l'Illustration répondent exactement à leurs vues personnelles. L'objectivité et l'impartialité qui restent notre règle ne consistent point à éliminer par une prudence systématique tout ce qui risque de susciter une contradiction ou une objection qui peuvent être justes, mais de leur donner une occasion de se manifester".

Sans doute les premières lettres de lecteurs mécontents des articles que Jacques de Lesdain a déjà publiés depuis le 17 août sont-elles déjà arrivées rue Saint-Georges...Finalement, ajoute-t-on, dans "cette grande faillite, c'est un devoir pour chaque Français de réviser les doctrines qu'il pouvait croire le plus solidement fondées, les idées qui lui paraissaient le plus évidemment incontestables. Une France nouvelle est en gestation douloureuse. Elle se cherche avec anxiété, avec gravité. Notre seule ambition est de l'aider à se trouver". Si l'on excepte un article consacré aux bombardements aériens sur Londres et une évocation de Mistral, poète de la vie rurale, on ne trouve aucun thème commun avec l'édition de Lyon. A l'inverse, on y parle longuement de la Maison de France (la résidence du délégué général du gouvernement Français pour les territoires occupés, située à Paris). Robert de Beauplan y explique comment les événements vont permettre "d'économiser une révolution", tandis que sur une page entière Jacques de Lesdain en appelle à la "Cohésion nationale". Les autres articles sont purement factuels (L'odyssée des autobus parisiens....La jeunesse au travail...Aden porte de la mer rouge...).

Ce texte liminaire de l'édition parisienne marque donc la fin définitive de l'exception lyonnaise et la rentrée dans le rang de L'Illustration. Il reste à savoir qui avait pris l'initiative de l'édition lyonnaise. Il paraît tout de même peu probable que l'équipe lyonnaise ait pu prendre de son propre chef l'initiative de cette parution, sans l'accord de René et Louis Baschet, compte tenu des risques encourus.

Cette remise en ordre ne veut pas dire pour autant que les heurts avec Jacques de Lesdain et les autorités allemandes soient terminées. Il y en aura d'autres et très rapidement, si l'on en croit le témoignage de Jean Laudat, devenu secrétaire de rédaction entre 1941 et 1944. Dès novembre, les autorités allemandes veulent aller encore plus loin en exigeant que le nom et le titre de Jacques de Lesdain soient mentionnés clairement sur la une de l'hebdomadaire, ce que René et Louis Baschet semblent refuser. D'où une nouvelle crise décrite par Laudat qui évoque le rôle joué par Félicien Faillet, un des responsables des services photographiques, secrétaire de rédaction de L'Illustration jusqu'en 1941 (il y était entré en 1924). Faillet se montre désormais ouvertement favorable à la collaboration. Dans un opuscule rédigé en septembre 1944 pour préparer la défense de L'Illustration, voici ce qu'écrit Jean Laudat: "Le 13 novembre, M. Faillet nous dit que la maison allait fermer et qu'il était prudent de retirer le montant de mon compte courant que j'avais à L'Illustration. Le 14 novembre, M. Faillet faisait savoir dans le bureau des rédacteurs où étaient présents Chénevier, De Beauplan et moi-même, que M. Louis Baschet avait été convoqué à la censure où on lui avait notifié un ultimatum qui expirait le même jour à 17h00. S'il n'en acceptait pas les conditions, l'Illustration changerait de direction. D'ailleurs, l'ambassade d'Allemagne avait mis 30 millions à la disposition de M. de Lesdain. M. Faillet déclarait qu'il était chargé par M. de Lesdain de faire une enquête afin de se renseigner s'il n'y avait pas de juifs ou de francs-maçons parmi les membres du conseil d'administration pour forcer la main aux Baschet et leur faire céder leurs actions. A 17 h 00, Félicien Faillet annonce à Robert de Beauplan, à Chénevier et à moi-même que l'heure de l'expiration de l'ultimatum est arrivée, que puisque les Baschet n'ont pas répondu, ils doivent être considérés comme chassés de la maison. Jacques de Lesdain devient directeur, avec Gaston Sorbets comme codirecteur. Félicien Faillet devient rédacteur en chef. L'attitude inébranlable des directeurs de l'Illustration]i, ajoute Jean Laudat, qui entend bien défendre les Baschet, i[eut raison de ces manoeuvres. Tout ce qu'obtint M. de Lesdain fut le titre de rédacteur politique. Quelques mois plus tard, M. Faillet était à son tour prié de quitter l'Illustration, son attitude étant loin d'être nette"... (cité par Françoise Denoyelle dans La photographie d'actualité et de propagande sous le régime de Vichy, éd. CNRS Editions, 2003). D'autres crises suivront encore. On en retrouvera la trace dans l'article consacré à Jacques de Lesdain.

De tout cela, le collectionneur retiendra donc que ce numéro lyonnais unique est donc bien à ranger dans la catégorie des raretés, et qu'il est certainement encore plus difficile à trouver que les numéros de Bordeaux et de Lyon. Là encore, toutes les informations complémentaires dont disposeraient les lecteurs de ces lignes seront les bienvenues...De même que les rectifications éventuelles.

LE CONTENU DU N°5089, PUBLIE A LYON (21 septembre)

Grâce à l'amabilité de M. J-P Bauduin, collectionneur de L'Illustration qui a mis à ma disposition une copie de ce numéro dont j'ignorais totalement l'existence, il est possible de préciser les points suivants:

La couverture à bande horizontale de couleur bleue reprend, comme cela avait été annoncé, l'ancienne présentation, avec une grande photo en une: on y voit un défilé dans Bucarest des partisans du jeune roi Michel de Roumanie, brandissant son portrait.

En deuxième page, on retrouve les mentions habituelles (directeur: René Baschet, codirecteur: Louis Baschet, Rédacteur en chef: Gaston Sorbets).

Une seule adresse est mentionnée (87 cours Gambetta à Lyon), où sont désormais regroupés, dans une arrière-boutique, la rédaction, les services de diffusion, de publicité et des abonnements. On peut aussi remarquer que, à aucun moment il n'est fait référence au siège de la Rue Saint-Georges, pas plus qu'à Jacques de Lesdain, dont la prose est totalement absente.

Enfin, ce numéro ne semble pas être destiné à rester unique mais il est bien considéré comme le début d'une série qui doit se poursuivre: "Comme nous l'annoncions dans le numéro du 14 septembre paru à Clermont-Ferrand, en format réduit, L'Illustration installée à Lyon a repris sa publication dans son format normal, sous sa couverture à bande de couleur. Dans le grand centre lyonnais où elle est maintenant installée, l'Illustration est en mesure de renouer sa tradition de grand hebdomadaire français d'actualités illustrées. Mais cette remise en train ne va pas, on le conçoit, sans de multiples difficultés qui, nous l'espérons, pourront être progressivement atténuées. Pour l'instant, la coupure de la France en deux zones, l'une occupée et l'autre libre, est une gène considérable pour la diffusion. Les relations postales ne nous permettent pas encore de reprendre nos envois en zone libre. Par contre, nous pouvons assurer dès maintenant le service régulier des numéros à nos abonnés de la zone occupée".

La formule ne manque pas de surprendre, lorsque l'on sait que Lyon est en zone libre. Si l'on suit le raisonnement, cela voudrait donc dire que ce numéro lyonnais serait destiné à être diffusé au delà de la ligne de démarcation...Or c'est justement la coupure du pays et les grandes difficultés de circulation du courrier entre les deux zones qui ont servi de prétexte au maintien de l'édition de Clermont puis de Lyon. Etonnant et curieux raisonnement...A tout le moins, il semble bien que dans l'improvisation et la précipitation, les rédacteurs n'aient interverti zone libre et zone occupée et que le détail ait échappé à la sagacité des correcteurs. Toujours est-il que L'Illustration n'a pas totalement obtempéré aux injonctions allemandes d'une édition unique.

Un appel est également lancé aux annonceurs:"Conjointement avec la reprise de son grand format, L'Illustration a décidé la réouverture de ses pages de publicité. Dès maintenant, elle met donc à disposition de ses annonceurs le puissant moyen de propagande commerciale que représentent son tirage, sa diffusion, sa clientèle d'élite". Il est même précisé que " Tous renseignements utiles, concernant l'édition diffusée en France non occupée, aux colonies et à l'étranger, sont fournis sur demande adressée à notre service de publicité, 87 Cours Gambetta, à Lyon". C'est donc une confirmation de plus sur la pérennité envisagée de cette édition lyonnaise.

Le contenu du numéro lyonnais garde une certaine distance avec les autorités d'occupation et se situe dans la droite ligne des numéros de Clermont-Ferrand. Passons en revue le sommaire:

La guerre aéronavale sur les côtes d'Angleterre (Camille Rougeron)

Retour de Wiesbaden (2 photos montrant le général Huntzinger, de retour d'Allemagne à Vichy, après discussion sur les détails d'application des clauses de l'armistice)

Quelques courts articles: Opérations en Egypte -- La guerre aérienne -- Le directoire national de la Légion française des anciens combattants -- France Amérique

Bombardement de Portsmouth par les Allemands et Phase de combat au cours d'une des attaques massives de l'aviation allemande sur l'Angleterre (2 compositions pleine page de A. Brenet).

Une enquête sur le retour à la terre (4 pages : texte de Paul-Emile Cadihac et dessins d'André Galland)

Le château de Chazeron et ses hôtes (Les "hôtes" en question sont des responsables politiques français arrêtés en attente de jugement futur et auquel on impute la défaite). Sur la même page figurent deux courts textes : "L'assainissement national" suivi de "Un grand mouvement préfectoral". L'assainissement en question concerne les premières mesures que le gouvernement de Vichy est en train de prendre pour "épurer" l'administration)

Les effets des bombardements allemands dans plusieurs quartiers de Londres (5 photos sur deux pages)

Une émouvante cérémonie à Marseille (le défilé des drapeaux avant leur embarquement pour l'Afrique du nord)

Sous le signe de Mistral (Hommage au poète avec un texte du maréchal Pétain)

A Toulouse, ceux qui se cherchent (Hélène Kernel)

La Revue des deux mondes à Royat (A.C.) (Albéric Cahuet)

Changement de régime en Roumanie.

Au total, une tonalité maréchaliste, mais une volonté d'indépendance qui ne peut que mécontenter les autorités d'occupation. C'est ce qui explique que ce numéro, à peine imprimé, ait été interdit et son tirage détruit. Dans une lettre (datée du 29 août 1971) écrite par M. André Lama qui était en septembre 1940 "chef de fabrication à Lyon pour ce qui concernait l'Illustration" (document transmis par M. J-P Bauduin), on peut lire à propos de ce n°5089 imprimé à Lyon: "Il n'en existe que quelques exemplaires de par le monde, la parution de ce numéro en zone libre ayant été interdite par les Allemands. Je suis bien placé pour vous le dire car, à l'époque, j'étais chef de fabrication"... Signalons une autre information, qui peut intéresser le collectionneurs et que donne M. Lama à propos de l'édition de Clermont-Ferrand: il mentionne l'existence, en plus des numéros ordinaires, "d'un numéro hors-série concernant le flotte de l'Atlantique et le bombardement de Mers-el-Kébir". La tentative lyonnaise n'aura donc pas de suite, même si pendant toute la durée de l'Occupation, L'Illustration va maintenir un bureau Lyonnais.

LE VERITABLE ULTIME NUMERO DE L’ILLUSTRATION n°5292-5293 (12-19 août 1944)

N° 5290-5291 du 28 juillet au 5 août 1944, souvent considéré comme le dernier numéro de L'Illustration.
N° 5290-5291 du 28 juillet au 5 août 1944, souvent considéré comme le dernier numéro de L'Illustration.
On considère en général comme ultime numéro de L’Illustration le 5290-5291, daté des 28 juillet - 5 août 1944, avec en couverture la photo des lieux de l'attentat contre Hitler, le 20 juillet. On laisse entendre que le suivant, en préparation, serait resté dans les cartons puisque les combats pour la libération de Paris faisaient alors rage. C'est notamment ce que l'on peut lire sous la plume de Jean-Noël Marchandiau dans son livre sur l'Illustration (éd. Privat, 1987) et c’est ce qu’écrit Eliane Allégret-Baschet dans ses Souvenirs autour de l’imprimerie de Bobigny (1933-2003). Or il y a bien eu tirage ou début de tirage et de diffusion de ce n° 5292-5293.

Premier indice, j'ai eu l'occasion d'en voir un exemplaire. Le vendeur, qui en connaissait la rareté, au point d'en demander entre 450 et 500 euros, ne m'a pas autorisé à le feuilleter. Il était sous protection plastique mais j'ai noté que ce numéro avait été tiré sans couverture à bandeau rouge et que la une ne portait plus, à droite, le nom de Jacques de Lesdain, directeur politique. On comprend aisément le pourquoi de ce retrait, d'autant qu'à cette date, De Lesdain avait pris la fuite en direction de l'Allemagne, avec d'autres ténors de la presse collaborationniste. Un collectionneur lyonnais qui en détient un exemplaire m’a également contacté à propos de ce numéro rarissime. Signalons qu’il a été entièrement tiré en noir et blanc (il ne comporte pas le traditionnel bandeau de couleur du titre l’Illustration et les publicités des 3ème et 4ème de couverture sont entièrement en noir et blanc).

Second indice, en achetant un volume relié des numéros de l'année 1944, j'ai constaté que ce volume présentait une table des matières couvrant la période janvier-août 1944. Elle avait été tirée sur les presses de Bobigny, mais forcément après la Libération, ce qui ne manque pas d'être étonnant. En cherchant bien, avec l'indication des pages, on arrive à reconstituer le sommaire de ce numéro qui y figure sous diverses rubriques. J'ajoute que, depuis, un autre collectionneur m’a fait parvenir une photocopie de ce numéro. Voici donc le sommaire :

La période 1940-1944
1ère de Couverture (sans le bandeau de couleur habituel): L'exode en Normandie : « un attelage et un véhicule qui semblent dater de l’époque mérovingienne » (photo DNP) – 2ème de couverture : 13 publicités parmi lesquelles : Cognac Briand – Dentifrice Nicota – Concreta, la cire naturelle des fleurs – Cognac Château Paulet – Cognac Léopold Brugerolle -- Papiers peints Nobilis - Verre de montre Flexiva -- Les brillants, perles émeraudes…Yves Roué – Les grands assureurs parisiens Estienne et Cie – La Société Générale française La Boétie – Un encart dresse la liste des Grands experts parisiens, d’Emile Bourgey à André Vigoureux –

La période 1940-1944
Page de une intérieure : photo pleine page de Jean Clair-Guyot : « Aspect nouveau des rues de Paris : un garage de bicyclettes devant les vitrines d’un grand magasin ». En haut et à gauche, on retrouve les noms de René Baschet, directeur, de Louis Baschet Codirecteur et de Gaston Sorbets, rédacteur en chef. En revanche, la mention qui figurait à droite, jusqu’au n° 5290-5291, « Rédacteur politique : Jacques de Lesdain » a été supprimée.

pp. 288-289: Les événements et les hommes: scènes de vision de guerre (article non signé, accompagné de 4 photos créditées DNP, Safara et Fama -- p. 290 : Exode de Normandie (court article, non signé, accompagné de 6 photos créditées DNP-- p. 291 :Sa Majesté le hasard (Louis Raynaud) – p. 292 : Les œuvres et les hommes : l’éternel et l’accidentel (comptes rendus de différents ouvrage rédigé par Paul-Emile Cadilhac) -- pp.293-296 : Le château de Lourmarin (Texte de Louis Rémond, accompagné de 14 photographies de Jean Clair-Guyot) – p. 297 : Le mouvement musical en France : Pour un Ordre de la musique (Jacques Sorbets – p. 298 : Tradition nationale et classicisme (Georges G.-Toudouze) —p. 299 : Les rues de Paris animées par les bicyclettes (Jean Clair-Guyot, avec 10 photographies). pp. 300-201 : Une belle lignée de pépiniéristes, de Louis XIV à nos jours, les Gaujard (Jean Clair-Guyot, 4 photographies) -- Le dernier livre de Louis Hourticq : « La cause de l’art en perdant Louis Hourticq, le 15 mars 1944, a perdu un de ses meilleurs avocats » (Jacques Baschet).

Les pages suivantes, non foliotées, sont consacrées à des encarts publicitaires : 1ère page : Grands vins de Bourgogne Patriarche – Le dentifrice du fumeur Nicostyl – Végétaline (« Quand vous aurez vécu la hantise des matières grasses, la sagesse vous fera choisir Végétaline ») – Le cognac Gautret – L’extrait de café Fouquet, « aujourd’hui, comme hier, comme demain » -- Watos joaillier – Cognac Dor. – 2è page : Kodak : « Faites en moins, mais faites-les bien » -- Le stylo Ludo – Les parfums Brunet – Les gaines et soutien-gorge As de cœur, « marque et modèles déposés » -- 3ème page, correspondant à la 4ème de couverture : 4 publicités, en noir et blanc, occupant chacune un quart de page : « Un beau meuble se crée, se fabrique, se vend faubourg Saint-Antoine » -- Cognac Godet frères : « Deux bouteilles, deux merveilles. Une sélection pour l’élite » -- Pélikan, « encre stylographique, réputée depuis 1889 » -- Parfums Lenthéric. Au bas de la page, figurent les mentions légales habituelles : Administrateur général : Jean Baschet – L’imprimeur gérant : Georges Huck – Imprimerie de l’Illustration, 153 route de Saint Denis, à Bobigny, Seine. Dépôt légal : 3ème trimestre 1944, n°7 bis – Numéro d’autorisation : 13.

Souhaitons que ces quelques lignes auront permis aux collectionneurs novices d'y voir un peu plus clair dans le dédale de ces numéros « rares », « rarissimes » ou « introuvables » Quant aux amateurs de L'Illustration, il va de soi que cela ne leur aura sans doute pas appris grand chose qu'ils ne savaient déjà.

Jean Paul Perrin