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Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger


Entrée en guerre des Etats-Unis en 1917.  Juin 1917, discours du colonel Roosevelt à Mineola (Long Island).
Entrée en guerre des Etats-Unis en 1917. Juin 1917, discours du colonel Roosevelt à Mineola (Long Island).
"Chaque homme, disait Thomas Jefferson, a deux patries, son pays et la France. » "Jefferson, rédacteur de la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis en 1776 et père spirituel de la révolution américaine, avait raison. Il n'existe pas deux pays dont les relations soient aussi étroites, et la compréhension réciproque aussi fondamentale, malgré quelques malentendus occasionnels, que les Etats-Unis et la France. Mais si les rapports entre Français et Américains commencent dès les premiers jours de la révolution américaine, il faut faire remonter l'histoire des Français en Amérique du Nord à plus de deux cents ans, avant que les Etats-Unis ne gagnent leur indépendance. Plus de quatre cents ans, donc, pendant lesquels les Français ont d'abord participé à la découverte et au peuplement du Nouveau Monde, puis noué des liens étroits avec les nouveaux Etats-Unis d'Amérique.

Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger
Ce magnifique ouvrage de L'Illustration, magazine de très haute qualité sans véritable équivalent de nos jours, nous fait découvrir les Etats-Unis à travers les yeux de la France de 1843 à 1939. Et bien que nous parlions ici d'une période de l'histoire américaine postérieure à l'indépendance des Etats-Unis, L'Illustration ne manque pas de rappeler les liens historiques, les découvertes de Cavelier de La Salle et du Père Marquette, et la fondation de la Louisiane, qui est encore à ce jour la région la plus francophone des États-Unis.

Mais une certaine tristesse transparaît à travers les faits historiques. Car les Français furent les vrais pionniers du continent nord-américain. Ils pénétrèrent à l'intérieur du pays bien plus loin qu'aucun autre peuple. Le souvenir de leur présence se retrouve partout, notamment dans des noms de villes du Midwest tels que « Eau Claire », « Prairie du Chien », « Joliet », Marquette », ou « La Salle ». Il y a un « Paris » dans le Kentucky, et un « Lafayette », un « Terre Haute », et un « Vincennes » en Indiana. Mais la majorité des Français ne s'intéressèrent pas à cette vague de colonisation. Et la défaite de la France à Plaines d'Abraham près de Québec marqua la fin des espoirs français pour la conquête du continent américain. Tout ce que les Français conservèrent furent les îles de St-Pierre-et-Miquelon et le droit de pêche dans les eaux situées au nord du continent.

Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger
Mais, comme le prouve l'histoire, cette malencontreuse défaite ne détruisit pas les liens franco-américains. C'est la France qui joua un rôle majeur lors de la révolution américaine. Et c'est l'influence de Montesquieu qui conduisit les Américains à adopter la philosophie de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. En contrepartie, l'un des initiateurs de la révolution française fut un Américain, Thomas Paine, dont le livre « Le Sens Commun » (Common Sensé) avait déclenché la révolution américaine. Il s'installa en France et écrivit « Les Droits de l'Homme » (The Rights of Man), ouvrage qui influença fortement les révolutionnaires français désireux de renverser la monarchie. Et lorsque les Français rédigèrent leur propre Déclaration des Droits de l'Homme, La Fayette consulta Jefferson, Paine et d'autres hommes d'état américains pour parfaire la rédaction du texte.

Avec une telle toile de fond, ce livre constitue une aide précieuse à une meilleure compréhension de l'évolution de l'histoire, de la culture et de la société américaines depuis la révolution. Un des chapitres les plus intéressants est celui qui traite de la Guerre de Sécession, probablement l'épisode le plus dramatique de l'histoire des Etats-Unis, durant lequel le pays se trouva brutalement coupé en deux entre le Nord et le Sud, et où une guerre sanglante se déclara, déclenchée par la décision d'Abraham Lincoln d'abolir l'esclavage. Les Français étaient depuis longtemps conscients des problèmes qui amenèrent la Guerre de Sécession. En 1788, un an avant l'adoption de la constitution américaine, Jacques-Pierre Brissot, à la suite de son séjour en Amérique, avait créé la « Société des Amis des Noirs » à laquelle il avait associé Mirabeau, Condorcet et La Fayette. La France avait aboli l'esclavage dans toutes ses possessions le 27 avril 1848, et les convictions anti-esclavagistes étaient très fortes dans le pays. La publication aux Etats-Unis de « La Case de l'Oncle Tom » de Harriet Beecher Stowe, roman racontant les épreuves d'une famille d'esclaves, eut un succès immédiat en France et dix éditions en furent épuisées en l'espace de deux ans. Mais en dépit de ce mouvement, l'opinion en France était divisée à propos de la guerre. Napoléon III aurait préféré voir le Sud victorieux. Son cousin, le prince Napoléon, attribuait ces propos à l'empereur : « Si le Nord est victorieux, j'en serai heureux. Si le Sud l'emporte, j'en serai enchanté ». L'attitude de Napoléon III irrita de nombreux Américains qui soutinrent la Prusse lorsqu'elle envahit la France en 1870. Beaucoup de Français prirent part à la Guerre de Sécession, y compris des membres de la haute aristocratie. Mais la majorité d'entre eux se rallièrent au Nord, le plus connu d'entre eux étant le général comte Régis de Trobriand.


Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger
La lecture de L'Illustration nous entraîne ensuite dans les cruels récits des guerres entre Américains et Indiens à la fin des années 1860.
Mais ce livre ne montre pas uniquement les côtés tragiques de l'histoire américaine. Il nous emmène aussi à la Nouvelle-Orléans en 1847 et nous fait découvrir l'évolution de ce territoire que tant de liens rattachent à la France. Nous vivons la merveilleuse épopée de la découverte de l'or en Californie en 1849, qui attira des centaines de milliers d'Américains vers la Côte Ouest, jusqu'alors pratiquement inhabitée. Nous découvrons l'émergence de nouvelles religions aux États-Unis, notamment les Quakers et les Mormons au milieu du 19e siècle. Et nous vivons un des phénomènes américains majeurs, l'immigration massive des Européens vers les États-Unis. L'arrivée des Italiens, des Allemands, des Irlandais, et autres Européens aux Etats-Unis, et leur intégration dans la société américaine est probablement l'un des faits majeurs d'un peu plus de deux siècles d'histoire de ce pays.

Bien sûr, nous revivons le récit de la construction de la Statue de la Liberté. Le premier reportage de L'Illustration fut publié en 1875, année où un comité appelé « Union Franco-Américaine » fut fondé par Edouard de Laboulaye, l'homme qui avait poussé Frédéric-Auguste Bartholdi, le fameux sculpteur français, à mettre en œuvre son incroyable projet. Ils avaient dîné ensemble à Versailles en 1865. « J'ai dîné chez mon illustre ami, M. de Laboulaye », avait noté le sculpteur Bartholdi, alors âgé d'un peu plus de 30 ans. La conversation était tombée sur les relations internationales. On était alors à quelques années du centième anniversaire de l'indépendance américaine. Laboulaye, professeur et historien éminent, libéral et américanophile convaincu, lança alors l'idée d'un monument qui serait édifié en Amérique, fruit d'un effort commun des deux nations. L'article de L'Illustration montre une gravure de Bartholdi représentant son projet à l'entrée du port de New York. La statue ne fut finalement édifiée et inaugurée que le 28 octobre 1886, plus de 10 ans après le centenaire de la Déclaration d'Indépendance. Mais 100 ans plus tard, le 4 juillet 1986, le Président américain Ronald Reagan et le Président français François Mitterrand célébrèrent le centenaire de la Statue de la Liberté, montrant par là le rôle majeur qu'elle continue de jouer dans les relations entre nos deux pays.
Et cette gravure de Bartholdi m'amène à un autre commentaire sur notre ouvrage. Ce sont en effet non seulement les textes, mais aussi les illustrations et les photographies de cette importante période qui rendent ce livre si attirant. Nous n'y lisons pas seulement l'histoire, nous la voyons revivre sous nos yeux. C'est là le point primordial qui fit de L'Illustration l'un des plus grands hebdomadaires de son temps.

Les Etats-Unis d'Amérique par Pierre Salinger
J'ai été particulièrement touché par le chapitre sur l'incendie de 1906 qui détruisit une grande partie de San Francisco. San Francisco est ma ville natale, j'y ai vu le jour en 1925, à une époque où les travaux de reconstruction n'étaient pas encore terminés. Ma mère, née en France en 1897, y était rédactrice en chef d'un quotidien français. Ma tante était la comédienne vedette d'un des théâtres français. De nombreux hôtels de la ville appartenaient à des Français émigrés en Californie. N'eussent été cette influence française et le fait que ma mère était née en France, je me serais sans doute joint aux nombreux jeunes Californiens de cette époque qui dirigeaient leurs regards de l'autre côté du Pacifique, vers l'Asie, où ils entrevoyaient l'avenir. Moi, au contraire, je regardais au-delà de l'Amérique, au-delà de l'Atlantique, vers l'Europe, vers la France. Et bien que j'aie, durant la Seconde Guerre mondiale, combattu dans le Pacifique contre les Japonais, mon regard se portait toujours vers l'est, avec l'espoir profond que la France et l'Europe seraient libérées de l'Allemagne nazie. Les chapitres du livre écrits après ma naissance retracent l'histoire de ma jeunesse : le krach de Wall Street en 1929 et l'élection de Franklin D. Roosevelt à la présidence des Etats-Unis en 1932. Et ce livre ne pouvait trouver meilleure conclusion que le splendide article écrit en 1939 par Henri Malherbe, Prix Goncourt 1917 et ancien combattant de la guerre de 1914-18, dans lequel il exprime la montée de la peur en Amérique face aux événements européens, au « cataclysme européen » comme il l'appelle, et dans lequel il se demande s'il est trop tard pour une alliance avec une Europe « incendiée, ravagée, désertique ».
Mais l'histoire nous apprend que les États-Unis renouèrent cette alliance. Une fois de plus les Américains traversèrent l'Atlantique pour libérer l'Europe et la France. Non seulement ils sortirent les pays européens de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, mais ils jouèrent un rôle majeur dans leur reconstruction. Quand les troupes américaines entrèrent dans Paris en 1944, la réception fut délirante. Les événements confirmaient une fois de plus l'amitié qui existe entre nos deux pays.
Pour ceux qui veulent comprendre leurs amis de toujours, ce livre est une merveilleuse leçon d'histoire."

Pierre Salinger